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domingo, 11 de mayo de 2014

Le Premier Soulèvement zapatiste: le rôle des femmes indigènes

¡ YA BASTA ! 1994-2014

Le premier soulèvement zapatiste


paru dans CQFD n°118 (janvier 2014), rubrique , par Mathieu Léonard, illustré par , illustré par 
mis en ligne le 13/03/2014 - commentaires
Depuis la « Loi révolutionnaire des femmes » de 1993, le rôle des femmes indigènes – tzotziles, tzeltales, tojolabales et choles – est devenu inséparable de l’expérience zapatiste. Guiomar Rovira, dans un ouvrage intitulé Femmes de maïs [1], publié dans sa version française par les éditions Rue des cascades, revient sur cette conquête majeure de l’insurrection, à travers des témoignages et des portraits de femmes chiapanèques.
Par Patxi Beltzaiz/Contre-faits. {JPEG}
Dans les rangs de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), on dit que le premier soulèvement eut lieu quand fut énoncée la « Loi révolutionnaire des femmes » devant les combattants, le 8 mars 1993. Cette décision, «  véritable révolution pour les communautés indigènes », fut expliquée par deux commandantes femmes, Ramona et Susana, à rebours de tous les usages traditionnels qui interdisaient aux femmes de s’adresser aux hommes : « Nous ne voulons pas qu’on nous oblige à nous marier contre notre volonté. Nous voulons décider du nombre d’enfants que nous pouvons avoir et dont nous pouvons nous occuper. Nous voulons avoir le droit d’occuper des postes de responsabilité dans la communauté. Nous voulons avoir le droit de dire notre parole et qu’elle soit respectée. Nous voulons avoir le droit d’étudier et même d’être chauffeurs », avait déclaré Susana.
Par Caroline Sury. {JPEG}Andrea, Trinidad, Irma, Laura, Elisa, Silvia, Maribel, Isidora, Amalia, Elena, Mónica, Isabela, Yuri, Patricia, Juana, Ofelia, Celina, María, Gabriela, Alicia, Zenaida et María Luisa, Leticia, Hortensia, Conchita, etc., sont ces insurgées au sein de l’EZLN, ces militantes dans des groupes de femmes, ces paysannes et ces artisanes organisées en coopératives qui témoignent dans Femmes de maïs. On y croise aussi la figure emblématique de la guerrière zapatiste, la commandante Ramona qui, avant d’être emportée par un cancer en 2006, déclarait en 1994 : « Nous étions déjà mortes en fait, nous comptions pour rien ». Opprimées parmi les opprimés, dans la région la plus indigène et pauvre d’un des pays les plus machistes au monde, ces femmes ont pris conscience que les choses pouvaient changer. « Ils veulent que nous soyons comme des pierres qu’on écrase ou comme l’arbre qu’ils font tomber quand ils le veulent, comme ils le veulent. À présent, je crois qu’il est temps pour nous de changer, nous n’allons pas continuer comme avant à être les plus sottes du monde, à ne pas pouvoir répondre », s’insurge María, petite vendeuse de rue d’artisanat pour touristes à San Cristobal, chassée de son village, élevant seule ses quatre enfants, qui « remercie Dieu » que les zapatistes soient venus leur redonner de la dignité. L’ouvrage, riche et dense, revient sur cette violence faite aux femmes, par le mépris, par le viol – également utilisé comme instrument de contre-insurrection – et par le racisme de la société coloniale, mais aussi par le poids des traditions au sein des communautés indigènes.
Ainsi, la major Ana María, originaire des Hautes-Terres du Chiapas, décrit le quotidien d’une femme indigène :
« – Elle ne s’arrête pas de toute la journée. La femme paysanne se lève à trois heures du matin pour préparer le pozol [bouillie de maïs] et la nourriture, le petit déjeuner des hommes. Si elle a besoin de bois, elle s’en va et rapporte le bois ; si elle a besoin de maïs, elle va à la milpa [champ de maïs] et rapporte son maïs ou des légumes ou ce qu’elle y trouve. Elle s’en va et revient, porte son enfant sur le dos ou sur la poitrine, prépare à manger.
Toute sa journée se passe comme ça, du lundi au dimanche, jusqu’à ce que tombe la nuit. Les hommes, eux, peuvent profiter du dimanche pour s’amuser, jouer au basket, ou aux cartes, mais pas la femme, qui s’occupe de tout, tous les jours, sans se reposer.
[…] – On nous maintient comme ça, sur le côté. Je parle des compañeras des villages et de la femme en général dans notre pays qui subit les mêmes injustices. »
À force de discussions et de prises de parole, l’EZLN a réussi le délicat pari de bousculer certaines traditions sans risquer de ruiner la cohésion communautaire : « Toutes les coutumes ne sont pas bonnes ! Il y en a qui sont mauvaises… Une coutume est de marier les filles toutes jeunes et peu importe si elles y vont en pleurant. Cette coutume ne doit pas être respectée », avait décrété la Commission des femmes, réunie en assemblée en décembre 1994.
Bien sûr, ces avancées rencontrent encore la résistance des compañeros qui s’accrochent à des habitudes, qu’ils pensent immuables et en vertu desquels on pourrait sacrifier le sort des femmes. Beaucoup de femmes indigènes continuent à s’épuiser à force de grossesses à répétition et si les moyens contraceptifs circulent parmi les insurgé-e-s, l’avortement reste encore difficilement imaginable : « La croyance nie qu’il puisse être pratiqué. Ce serait aller à l’encontre de la tradition », explique, résignée la major Ana-Maria.
L’émancipation des femmes passe par les programmes d’éducation prodigués par l’EZLN : « Apprendre. Voilà la clé, souligne l’auteure Guiomar Rovira. Voilà la raison pour laquelle l’EZLN exerce une telle attraction sur les filles. Les insurgées doivent toutes apprendre à parler le castillan pour communiquer au sein de cette armée formée de différentes ethnies, et pour se défendre du pouvoir puisque le castillan est la langue du pouvoir établi. L’EZLN offre cette opportunité, la chance de lire et d’écrire, la possibilité de connaître l’histoire et la politique, de rencontrer d’autres jeunes, de partager des inquiétudes culturelles, de monter des pièces de théâtre, de composer des chansons, de rejoindre les multiples “groupes de jeunes” qui permettent de s’amuser, animent les fêtes de village… » L’apprentissage zapatiste est une école du temps libre. Le fameux passage de la nécessité à la liberté. « Ici, dans l’EZLN, on est égaux », affirme la capitaine Irma.
Par Patxi Beltzaiz/Contre-faits. {JPEG}
La postface de l’ouvrage, « Compañeras sur le chemin de l’autonomie » de Mariana Mora, nous permet de mesurer le chemin parcouru par ce mouvement des femmes chiapanèques depuis 1994. Autrefois invisibles et réduites au rôle de « figurantes », elles ont entraîné une révolution, certes encore inachevée – entre les énoncés et les actes, le temps est souvent long –, mais profonde. D’ailleurs, pour la première génération qui a «  grandi dans le zapatisme », le retour en arrière semble inimaginable, comme en témoigne Sabina, âgée d’une quinzaine d’années : «  Entre nous, avec mes amies compañeras, nous parlons beaucoup de ce qu’ont vécu nos parents et qui nous met en rage. Nous voulons continuer à participer pour que ces temps-là ne reviennent pas. C’est pour cela que c’est important de lutter au sein de l’autonomie. »

« Quand le pauvre croira dans le pauvre, nous pourrons chanter liberté »


paru dans CQFD n°118 (janvier 2014), rubrique , illustré par 
mis en ligne le 12/03/2014 - commentaires
Par Caroline Sury. {JPEG}
« […] Sœurs et frères indigènes et non indigènes pauvres, entrez dans la lutte, organisez-vous, dirigez-vous entre vous, ne vous laissez pas diriger ou regardez bien ceux que vous voulez qui vous dirigent, qu’ils fassent ce que vous, vous avez décidé, et vous verrez que les choses prennent petit à petit un chemin semblable à celui que nous avons pris, nous les hommes et les femmes zapatistes.
Ne cessez pas de lutter, de même que les exploiteurs ne cesseront pas de nous exploiter, mais arrivons jusqu’au bout, c’est-à-dire la fin de l’exploitation. Personne ne va le faire pour nous, sinon nous-mêmes. […]
Nous sommes les principaux producteurs et productrices de la richesse de celles et ceux qui sont déjà riches, basta ya, ça suffit, nous savons qu’il y a d’autres exploité-e-s, nous voulons nous organiser aussi avec elles et eux, luttons pour ce peuple du Mexique et du monde, qui est à nous et pas aux néolibéraux.
Frères et sœurs indigènes du monde, sœurs et frères non indigènes du monde, peuples exploités ; peuples d’Amérique, peuples d’Europe, peuples d’Afrique, peuples d’Océanie, peuples d’Asie, les néolibéraux sont ceux qui veulent être les patrons du monde, c’est ça que nous disons, c’est-à-dire qu’ils veulent faire leur propriété de tous les pays capitalistes. Leurs contremaîtres sont les gouvernements capitalistes sous-développés. C’est ainsi qu’ils vont nous tenir si nous, tous les travailleurs et toutes les travailleuses, nous ne nous organisons pas.
Par Caroline Sury. {JPEG}Nous savons qu’en ce monde il y a de l’exploitation. La distance où nous nous trouvons de chaque côté du monde ne doit pas nous séparer ; nous devons nous rapprocher, en unissant nos façons de penser, nos idées, et lutter pour nous-mêmes. Là où vous vous trouvez, il y a de l’exploitation, vous souffrez la même chose que nous.
Vous subissez la répression tout comme nous.
Ils sont en train de vous voler, tout comme nous ils nous volent depuis plus de 500 ans.
Ils vous méprisent, tout comme ils continuent à nous mépriser.
C’est ainsi que nous sommes, c’est ainsi qu’ils nous tiennent et c’est ainsi que nous allons continuer si nous ne nous prenons pas par la main les un-e-s et les autres. Nous avons plus qu’assez de raisons pour nous unir et faire naître notre rébellion, et nous défendre de cette bête qui ne veut pas nous lâcher et qui ne va jamais le faire si nous ne l’y obligeons pas nous-mêmes.
Ici, nos communautés zapatistes, avec leurs gouvernements autonomes en rébellion, et avec leur union des compañeras et compañeros, elles affrontent nuit et jour le capitalisme néolibéral, et nous sommes prêt-e-s à tout, à ce qui viendra et comme ça viendra.
Voilà, c’est comme ça qu’ils sont organisé-e-s, les compañeros et compañeras zapatistes. Il n’y a besoin que de décision, d’organisation, de travail, de mise en pratique, et ainsi de corriger et améliorer sans repos, ou si on se repose c’est pour se refaire des forces et continuer, le peuple commande et le gouvernement obéit.
Oui, c’est possible, sœurs et frères pauvres du monde, vous avez ici l’exemple de vos frères et sœurs indigènes zapatistes du Chiapas (Mexique).
Il est temps que nous fassions vraiment le monde que nous voulons, le monde que nous pensons, le monde que nous désirons. Nous savons comment faire. C’est difficile, parce qu’il y a ceux qui ne veulent pas, et ce sont précisément ceux qui nous exploitent. Mais si nous ne le faisons pas, notre avenir sera plus dur et il n’y aura jamais de liberté, jamais.
Par Caroline Sury. {JPEG}
C’est comme ça que nous, nous l’entendons, c’est pour ça que nous sommes en train de vous chercher, nous voulons que nous nous rencontrions, que nous nous connaissions, que nous apprenions de nous-mêmes.
Pourvu que vous puissiez arriver ! Sinon, nous chercherons d’autres façons de nous voir et de nous connaître… »
Sous-commandant insurgé Moisès
Extrait de « Eux et Nous 2 : les regards. 6e partie : lui nous sommes ». Février 2013.
La suite du dossier... C’est par ici.
Pour fêter les 20 ans du zapatisme, rendez-vous à la Maison des Métallos les 28 et 30 mars. Toutes les infos par ici !

Textes en ligne sur :

Le CSPCL. La voie du jaguar.

Bibliographie sélective

• Nicolas Arraitz, Tendre Venin, De quelques rencontres dans les montagnes indiennes du Chiapas et du Guerrero, éditions du Phéromone, 1995.
• Jérôme Baschet, La Rébellion zapatiste, Flammarion, collection « Champs », 2005.
• Jacques Blanc, Yvon Le Bot, Joani Hocquenghem et René Solis, La Fragile Armada, La Marche des zapatistes, Métailié, Paris 2001.
• Guillaume Goutte, Tout pour tous ! L’expérience zapatiste, une alternative au capitalisme, éditions Libertalia, Paris, à paraître en avril 2014.
• Joani Hocquenghem, Georges Lapierre, Hommes de maïs, cœurs de braise. Cultures indiennes en rébellion au Mexique, L’Insomniaque, 2002.
• Sous-commandant Marcos, Éthique et politique, éditions de l’Escargot, Paris, 2013.
• Sous-commandants Marcos et Moisés, Eux et Nous, éditions de l’Escargot, Paris, 2013.
• Gloria Muñoz Ramírez, 20 et 10, Le Feu et la Parole, Nautilus, Paris, 2004.
• Guiomar Rovira, Femmes de maïs, Rue des cascades, Paris, 2014.
Ouvrages avec photos :
• Pierre-Yves marzin, War hent ar Chiapas, éditions Skol Vreizh, 2001.
• Damien Fellous, Nadège Mazars, Et la forêt se déplaça... En marche avec les zapatistes, Agnès Vienot éditions, 2001.
Pour les minots :
• Contes rebelles, Récits du sous-commandant Marcos – 12 contes et récits, 18 photographies, un CD – Le Muscadier, 2014.
Par Caroline Sury. {JPEG}

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