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domingo, 6 de septiembre de 2020

La spoliation financière : les paysans, « associés » du Train maya


samedi 4 juillet 2020, par Violeta R. Núñez Rodríguez sur la VoieDuJaguar
Le projet baptisé « Projet de développement Train maya », principal projet d’infrastructures de l’actuel gouvernement fédéral mexicain (présidence de la République, 2019), annonce que, pour la première fois, les terres des paysans ne seront pas expropriées pour mener à bien un projet de « développement », contrairement à ce qui s’est produit à d’autres moments de l’histoire ; que ne seront pas élaborés de projets (barrages, centrales hydroélectriques, exploitations minières, routes, ponts, aéroports, entre autres) sans respecter la propriété sociale. À ce sujet, l’un des premiers documents qui présentait le Train maya de façon très générale indique que, « dans le cas des constructions des gares, les propriétaires individuels ou communautaires pourront céder leurs terrains et devenir des associés du développement local » (Fonatur, 2019). Mais pourquoi cette affirmation est-elle importante ?



Selon le Registre agraire national, dans les États où il est prévu de mettre en place le Projet de développement du Train maya, 52 pour cent de la propriété de la terre correspond en moyenne à la propriété sociale ; même si dans quelques États, comme le Quintana Roo, cette propriété atteint plus de 60 pour cent. Ce qui signifie que plus de la moitié de la superficie ne correspond ni à la propriété privée ni à la propriété publique mais à un type de propriété qui date de l’époque préhispanique et que le Mexique a institutionnalisée après la Révolution mexicaine : les ejidos et communautés agraires (noyaux agraires). Ce régime de propriété, constitué de 5 375 ejidos est fondamentalement géré par des paysans indiens. En ce sens, il s’agit non seulement d’un régime de propriété mais aussi d’un mode de vie, le mode de vie paysan, où prédomine la milpa, « un système agricole traditionnel de polyculture… La culture principale est le maïs, accompagnée de différentes espèces de haricots, de courges, de piments, de tomates et bien d’autres cultures, selon la région », d’après la Commission nationale pour la connaissance et l’usage de la biodiversité (Conabio). Certaines recherches rapportent qu’on peut trouver jusqu’à cinquante espèces différentes, qui, si elles sont destinées à l’alimentation, participent aussi d’un mode de vie.
Dans la péninsule du Yucatán, il existe des cosmovisions particulières, émanant de 3,6 millions d’Indiens de vingt-trois peuples originaires. C’est pour cette raison, et non par hasard, que dans les régions de la péninsule du Yucatán et de la Caraïbe mexicaine existe une des plus importantes richesses biologiques du pays et du monde (25 zones naturelles protégées, de plus de 8,6 millions d’hectares), car ces peuples, en accord avec leurs cosmovisions et leurs modes de vie, ont maintenu une relation plus harmonieuse avec la nature dont ils font partie et qu’ils conçoivent comme un sujet vivant doté d’un cœur.
C’est sur cette propriété sociale que les gares du Train maya doivent être construites. Mais le projet envisage non seulement la construction de gares mais aussi la création de nouvelles villes touristiques et, pour les habitants locaux, de pôles de développement et de parcs agro-industriels. Au total sont prévus vingt-deux gares et dix-huit pôles de développement et de parcs agro-industriels. Cela supposera que soient construits sur les ejidos des hôtels, des restaurants, des boutiques, des bars, des centres d’attraction touristique, des bureaux et des logements.
Le gouvernement met l’accent sur le fait que, pour la première fois, les terres des ejidos ne seront pas expropriées. Dans le gouvernement de la dénommée Quatrième Transformation, on propose aux propriétaires de propriété sociale de ne pas vendre leurs terres et de participer, en tant qu’associés, au projet intitulé Projet de développement Train maya. À ce propos, l’un des correspondants territoriaux du Train maya, Pablo Careaga, représentant du Fonds national du développement du tourisme (Fonatur, pour Fondo Nacional de Fomento al Turismo), rapporte ce qui est dit aux membres des ejidos : « Nous te proposons une alternative. Ta terre, tu la cèdes au consortium Fibra Tren maya. Que te donne en échange le consortium ? Il te donne des actions dans l’entreprise, tu deviens un associé de l’entreprise. Au même titre que les autres associés. Ta terre sera nécessaire pour les pôles de développement. » Le fonctionnaire explique en d’autres termes que « (…) les membres des ejidos apportent leur capital sous forme de terre. La terre appartiendra aux associés du projet, aux propriétaires de la terre et à ceux qui investissent de l’argent pour développer les villes ».
De cette façon, la participation qui leur est proposée est d’apporter leurs terres à un consortium, « disposition selon laquelle le testateur laisse son bien ou une partie de son bien à la disposition, à la bonne foi de quelqu’un pour que ce dernier, dans un cas et un moment précis, le transmette à une autre personne ou l’investisse de la façon qu’on lui indiquera ». C’est un consortium intégré dans le marché financier qui, à nous, l’immense majorité des Mexicains, nous est étranger, car seuls « 35 Mexicains sur 10 000 investissent en bourse, à la différence des États-Unis ou 60 citoyens sur 100 participent à ce marché » (El Economista, 2018).
La structure légale proposée est le consortium d’infrastructures et de biens immobiliers (Fibras, pour son sigle en espagnol), un instrument financier qui sera coté en bourse comme n’importe quelle action de la Bourse mexicaine des valeurs (ou de la Bourse institutionnelle des valeurs, nouvelle au Mexique) sur le marché des capitaux, ce qui suppose risques et processus spéculatifs. Selon la Bourse mexicaine de valeurs, « les Fibras sont des supports de financement pour l’acquisition et/ou la construction de biens immobiliers qui sont destinés à la location ou à l’acquisition de droits à percevoir des revenus provenant des biens en question ».
Par conséquent, pour être des « associés » du Train maya la première chose que doivent faire les membres des ejidos, selon le Fonds national de développement du tourisme, est de confier leur terre au consortium et de convertir leur propriété en action boursière par l’intermédiaire de la Fibra Train maya que le gouvernement fédéral a proposé de créer. Le consortium se chargera de placer les actions boursières sur le marché des capitaux par l’intermédiaire d’une bourse où les investisseurs se présenteront pour les acheter. S’il y en a, les rendements générés seront distribués aux associés du consortium. Pablo Careaga précise que « n’importe qui peut être un associé du projet. C’est une démocratisation authentique du capital. La démocratie permet que chacun ait une voix et un vote dans un projet. Des capitaux privés, pour générer des bénéfices publics ». Néanmoins, comme nous l’avons vu, cette « démocratie » au Mexique n’est pas pour tous mais réservée à une minorité.
Cet instrument financier, les Fibras, apparaît aux États-Unis durant la décennie des années 1960 — et connus comme Real Estate Investment Trust —, bien qu’il ait eu des antécédents dès la fin du XIXe siècle. Il avait pour objectif d’être « un support d’investissement immobilier fondé sur la structure légale du consortium avec offre publique » (Rankia, 2020a). Au Mexique, cet instrument a à peine neuf ans de fonctionnement et on a donc relativement peu d’expérience à son sujet. Les Fibras qui sont cotées à la Bourse mexicaine de valeurs sont impliquées dans les secteurs de l’hôtellerie, du logement, des corporations, des écoles, de la construction d’entrepôts et de parcs industriels. Une de leurs caractéristiques est que toutes ont été établies sur la propriété privée.
Il semblerait ainsi qu’il n’existe pas au monde d’expérience qui propose une Fibra sur la propriété sociale qui, au Mexique, correspond en partie aux ejidos. À ce sujet, Humberto Calzada, de la communauté financière Rankia Mexique, indique qu’« il n’existe pas d’expérience préalable avec une participation sociale. Il y a bien une participation de l’initiative privée et d’investisseurs dans des projets du gouvernement, mais pas de cette nature. En ce sens le gouvernement mexicain innoverait à l’échelle mondiale et latino-américaine, en offrant en bourse les terres des ejidos ». Une question se pose à ce sujet. Pour participer à l’investissement immobilier dans les gares, les villes et les pôles de développement, les ejidos vont-ils devoir d’abord passer en pleine propriété. C’est-à-dire vont-ils devoir passer du régime de la propriété sociale à celui de la propriété privée afin de pouvoir participer au consortium ? C’est l’un des grands rêves du néolibéralisme : privatiser la propriété sociale !
Selon le Fonds national de développement du tourisme, l’entité du gouvernement fédéral responsable du Projet de développement Train maya, les membres des ejidos conserveront leur propriété sociale car ils apporteront uniquement leurs terres au consortium et recevront en échange leurs rendements respectifs en accord avec le fonctionnement de la Fibra précédemment évoqué. Néanmoins j’insiste sur le fait que seront construites sur ces terres les infrastructures nécessaires aux gares, villes, pôles de développement et parcs industriels, et qu’il n’y aura donc pas de retour en arrière possible. C’est-à-dire qu’une fois que la terre aura été confiée au consortium, ce sera irréversible, sauf si les membres des ejidos achetaient la totalité des actions en bourse. En outre, la loi de l’impôt sur le revenu établit que ces consortiums sont irrévocables.
Comme les membres des ejidos feront partie d’une société par actions, où ils seront « associés », ce sont les propriétaires du plus grand nombre d’actions, par exemple les entreprises immobilières, qui recevront la majeure partie des dividendes. C’est-à-dire que les membres de ejidos qui apporteront seulement leurs terres recevront une part moindre des dividendes — s’il y en a — que ceux qui construiront des biens immobiliers, qui représentent un coût et un investissement bien supérieurs.
La rentabilité n’est cependant pas totalement garantie. Un membre de Rankia Mexique explique que, comme les Fibras sont un instrument sujet à des variations, il existera toujours des risques, car l’une de ses caractéristiques est qu’il est un instrument hybride : une partie est à revenu fixe et l’autre à revenu variable (approximativement 70 pour cent). La définition du revenu variable indique que la rentabilité n’est pas connue ni assurée : « sa caractéristique est que ne sont garantis ni le retour du capital investi ni l’obtention de rendements », raison pour laquelle « en investissant dans des revenus variables on court le risque de perdre tout son argent » (Rankia, 2020b). Il est important de préciser que cet investissement dépend de la situation économique générale qui, dans un futur proche, n’est pas très prometteuse au Mexique : « Les agences internationales de notation financière, Standard & Poor’s, Fich, Moody’s, et différentes banques comme J.P. Morgan, Goldman Sachs ont un point de vue négatif sur l’économie mexicaine, et cela se ressent aussi sur le marché des valeurs parce que l’annulation d’un projet comme celui de l’aéroport de Texcoco a suscité la méfiance surtout chez l’investisseur national et étranger. Depuis, la Bourse mexicaine de valeurs n’a pas pu rebondir » (Calzada, 2010). À cela il faut ajouter que « les nouvelles émissions à revenu variable n’ont pas eu vraiment de succès ». Dans le cas particulier des Fibras, elles ont stagné au cours de l’année et demie écoulée, précisément en raison du comportement de l’économie mexicaine. Le scénario ne sera pas très différent pour l’année 2020 car on prévoit une croissance inférieure à un pour cent [1]. La sortie du Mexique du top 10 des pays les plus attractifs pour investir ne fait que renforcer les choses. En conséquence, en termes réels, les scénarios pour le revenu variable de cet instrument financier ne sont pas bons.
La proposition des Fibras pourrait ainsi constituer un processus de spoliation dû à ce que, outre le fait que les membres des ejidos ne pourront jamais récupérer leur terre (s’ils le voulaient) car sur elle se situeront des projets immobiliers — c’est ce que la loi établit —, la rentabilité ne leur est pas non plus assurée, raison pour laquelle ils pourraient être obligés dans le futur de vendre les actions reçues en échange pour leurs terres.
Face à cette perspective, l’espoir d’un autre scénario dérive du fait que, dans la loi agraire (loi réglementaire de l’article 27 de la Constitution, article qui a institutionnalisé le processus de réforme agraire au Mexique), il n’existe aucun élément qui précise que les membres des ejidos peuvent céder leurs terres pour une Fibra. Sur ce sujet, le procureur agraire de la nation indique que « la loi établit que l’apport de terres est destiné à des sociétés agricoles, d’élevage ou forestières et que cela ne pourra pas être pour des projets de développement industriel et urbain, car la loi ne le prévoit pas ». Il est par contre possible que les membres des ejidos fassent passer leurs terres de la propriété sociale à la pleine propriété et les vendent. On ne sait donc pas encore ce qu’il adviendra de la propriété sociale de ce Mexique paysan et indien ?
Violeta R. Núñez Rodríguez
Traduit de l’espagnol par Françoise Couëdel
pour Dial (Diffusion de l’information sur l’Amérique latine).
Source (espagnol) : América latina en movimiento février-mars 2020.
Source (français) : Dial, 29 juin 2020

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