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domingo, 17 de marzo de 2013

DOSSIER : Mexique - frontière Nord, frontière Sud / Parallélismes




Du long de ses 3 326 km séparant les États-Unis du Mexique, cela fait plusieurs décennies que la frontière Nord de ce pays fait couler de l'encre en s'alimentant des divers phénomènes qui s'y développent, depuis la migration (légale ou non) jusqu'aux échanges commerciaux, légaux ou non.

Mur entre le Mexique et les Etats-Unis  © Grupo marxista
Mur entre le Mexique et les Etats-Unis
© Grupo marxista
Nettement moins visible jusque récemment, la frontière Sud du Mexique s'étend sur 1 139 km, dont 962 longent la République du Guatemala et 176 le Belize. Du côté mexicain quatre états forment cette frontière : le Chiapas, le Tabasco, l'état de Campeche et le Quintana Roo. Suite au 11 septembre 2001, les États-Unis ont cherché à renforcer leur sécurité interne et ont fait pression sur le Mexique pour un contrôle plus strict de cette frontière. Cependant, depuis cette date, les problèmes frontaliers se sont accrus et cette situation alarmante a soulevé une vague d'intérêt de la part de journalistes, chercheurs et autres militants.
Le premier parallélisme possible entre ces deux frontières tient à la ressemblance entre la situation vécue par les migrants à la frontière Sud, principalement des centroaméricains, et celle vécue à la frontière Nord par les mexicains en route vers les États-Unis. Des deux côtés, ils sont exposés aux mêmes dangers et peuvent être victimes d'enlèvement, de vol, tomber aux mains des réseaux de traite de personne ou du trafic de drogues, être déportés voire y laisser leur vie.

Migration légale : pour la plupart, des options très réduites

Train à Sonora © SIPAZ
Train à Sonora © SIPAZ
La frontière Nord, entre les États-Unis et le Mexique, est une des frontières les plus franchies du monde. Le nombre de personnes traversant légalement cette frontière chaque année est estimé à plus de 250 millions. En ce qui concerne la frontière Sud, l'Institut National de Migration (INM) évalue à plus de 2 millions le nombre de migrants ayant passé la frontière du Guatemala vers le Mexique en 2004, dont 400 000 en provenance d'Amérique Centrale et sans autorisation pour entrer au Mexique.
Pour les guatémaltèques, il existe la possibilité de solliciter le Document Migratoire de Visiteur Local permettant l'entrée sur le territoire mexicain sur une frange de 100 km depuis la frontière. Par ailleurs le Document Migratoire de Travailleur Frontalier peut être délivré aux ressortissants du Guatemala ou du Belize vivant dans une région frontalière et pouvant prouver qu'ils bénéficient d'une offre d'emploi en territoire mexicain.
De la même façon, il existe au Nord une « Border Crossing Card » (Carte de Passage de la Frontière) mieux connue sous le nom de « Visa Laser », réservée aux mexicains et leur permettant de passer la frontière par voie terrestre. Une des conditions requises pour l'obtenir est la preuve de liens économiques très forts au Mexique permettant aux autorités de s'assurer du retour de la personne vers son pays d'origine.
D'un côté comme de l'autre, les clandestins restent malgré tout majoritaires au passage de la frontière. De 2000 à 2009, une moyenne annuelle de 220 000 mexicains entra aux États-Unis de manière clandestine. Ils représenteraient aujourd'hui un peu plus de la moitié du total des sans-papiers de ce pays.

Contrôle de la migration illégale aux États-Unis et au Mexique

En 1994, pour tenter de contenir la migration, les États-Unis ont commencé à construire un mur le long de la frontière. Au jour d'aujourd'hui, les tronçons existants de ce dernier se dressent dans les états de Californie, Arizona, Nouveau Mexique et Texas. Ce mur de contention est équipé d'un éclairage de haute intensité, de détecteurs de mouvement, de capteurs électroniques et d'un système de vision nocturne directement relié à la police des frontières des États-Unis (Border Patrol) ; il est surveillé en permanence par des patrouilles de véhicules tout-terrain et d'hélicoptère armés. Parallèlement à cela, depuis 2005, un projet appelé Minuteman rassemble des citoyens américains qui cherchent à « dissuader » la migration mais se sont forgé la réputation douteuse de « chasseurs de migrants ».
Dès lors, les itinéraires ont changé et impliquent des passages plus difficiles et plus dangereux tels que le Rio Bravo ou la traversée du désert. Chaque année environ 500 personnes y meurent de déshydratation, de froid, de noyade ou tout simplement d'épuisement.
« Tout dépend de l'itinéraire par lequel on t'emmène, il y a des trajets plus courts que les autres, si tu es prêt à risquer ta vie, il y en a d'une heure, d'autres de deux jours et jusqu'à une semaine. Je connais quelqu'un, d'une autre communauté, qui n'a pas supporté la traversée du désert, il est mort, les agents de la migration ont retrouvé son corps, et la famille ne se résout pas à croire que son fils est décédé. »
Par ailleurs, la frontière Sud est franchie par des milliers de migrants d'Amérique Centrale et du Sud qui cherchent à gagner la frontière Nord et une opportunité de travail aux États-Unis. Le passage de la frontière n'est en fait pas un si gros problème comparé aux vicissitudes qui les attendent tout au long de leur traversée du Mexique. Dans une certaine mesure, il semblerait que le Mexique, tout du moins du Sud à la capitale, se soit transformé en une grande zone frontière très surveillée et ponctuée de contrôles des institutions migratoires.
Vue d’El Paso (Texas) et Ciudad Juárez (Mexique) © SIPAZ
Vue d’El Paso (Texas) et Ciudad Juárez (Mexique) © SIPAZ
En principe les mexicains ont le droit de circuler librement à l'intérieur de leur pays, et peuvent donc voyager sans entrave jusqu'à la frontière Nord. Cependant, on a rapporté un nombre croissant de cas où des mexicains (en particulier des secteurs de population vulnérables comme les femmes, les enfants ou les indigènes) ont été victimes des mêmes injustices que celles qui ponctuent le voyage des migrants venant d'Amérique Centrale.
Parallèlement aux changements d'itinéraires pour passer la frontière Nord, les options de franchissement au Sud ont évolué selon les dangers, les possibilités et la surveillance. En territoire mexicain, le transit se réalise principalement par voie ferrée à bord de trains de charge sur lesquels les migrants tentent de monter en marche. Ceux qui disposent de ressources suffisantes peuvent aussi emprunter les transports publics ou privés. D'autres encore choisissent de n'utiliser que des chemins de terre, éloignés des routes, pour éviter les points de contrôle des différents corps de police et de l'Institut National de Migration.
Les voies de chemin de fer sont le théâtre de nombreux accidents ou agressions, et les chemins de terre le lieu de vols et homicides. Dans les autobus, les migrants sont à la merci des différents contrôles le long de la route. Quel que soit le moyen utilisé, les migrants se retrouvent généralement sans défense face aux actes de délinquance, aux abus d'autorité, aux extorsions en tout genre ou aux violations des droits humains.

Réseaux de trafic de migrants : passeurs, kidnappeurs et traite de personnes

Train à Torreón © SIPAZ
Train à Torreón © SIPAZ
De nombreux clandestins achètent les services d'une personne pour les guider. Dans le Nord, des réseaux de passeurs appelés « raiteros » organisent le transport des clandestins depuis la frontière ou une ville frontalière jusqu'à, dans le meilleur des cas, leur destination finale.
Dans le Sud, ces guides sont mieux connus sous le nom de « polleros ». À l'heure actuelle, le coût du voyage du Guatemala aux États-Unis avec un passeur varie entre 45 000 et 50 000 quetzales guatémaltèques (environ 2 500 et 3 500 euros). Cette somme a beau représenter une grande quantité d'argent (d'autant plus pour les migrants qui sont de fait à la recherche d'un travail), les passeurs les font souvent voyager dans des conditions déplorables et risquer l'asphyxie ou la déshydratation. Dans le pire des cas, les passeurs se révèlent être eux-mêmes des délinquants ou des agresseurs. Après avoir touché la somme convenue, ils abandonnent les migrant à leur sort, leur volent tout ce qu'ils possèdent, ou pire, les assassinent.
En rassemblant des données de tout le pays, le Rapport Spécial sur la Séquestration des Migrants en Transit publié par la Commission Nationale des Droits Humains en juin 2009 estime que 10 000 migrants furent séquestrés lors du premier semestre 2009, permettant au crime organisé de gagner environ 25 millions de dollars. Dans de nombreux cas, les enlèvements rapportés font mention des « zetas », organisation liée au trafic de drogues, qui réclame de grandes sommes d'argent aux familles des migrants pour les relâcher.
Un migrant du Salvador témoignait ainsi : « Nous étions déjà en route sur le train, mais un peu après Ixtepec se trouvaient les « zetas ». (...) Ils montèrent dans le train, nous dirent de descendre et nous emmenèrent. Là où ils nous enfermèrent, il y avait déjà plus de 150 personnes ; ils nous attachèrent tous. Les « zetas » nous réclamèrent 3 500 dollars pour nous libérer et pouvoir passer de l'autre côté, mais ils nous donnèrent des valises pleines de drogues à faire passer. Je suis arrivé souffrant de dénutrition parce qu'ils ne nous donnaient à manger qu'une fois par jour. »
En matière de migration, le Mexique étant autant un pays d'origine, que de transit ou de destination, le trafic de migrants est très étroitement lié à la traite des personnes que ce soit dans des réseaux d'exploitation sexuelle commerciale ou de travail forcé. On rapporte qu'au Mexique plus de 500 000 personnes sont victimes d'exploitation sexuelle, dont environ 16 000 sont des mineurs.
Dans une étude sur Tapachula, ville frontière avec le Guatemala, les principales victimes identifiées sont des filles de 13 à 17 ans originaires du Guatemala, du Honduras et du Salvador, et exploitées principalement dans des bars ou des « brasseries» . Non seulement l'exploitation sexuelle des migrants (y compris de mineurs) est une réalité, mais elle s'assortit d'autres phénomènes tels que la pornographie infantile, le travail forcé (d'adultes et de mineurs), l'esclavage ou des pratiques similaires à l'esclavage, la traite de personne pour le commerce d'organes ou via la mendicité.

Les féminicides : un phénomène croissant

Evènement à Oaxaca pour dénoncer les féminicides © SIPAZ
Evènement à Oaxaca pour dénoncer les féminicides © SIPAZ
Dans ce contexte de violence extrême, en particulier envers les femmes, le terme de « féminicides » a été consacré pour désigner les assassinats massifs de femmes en tant que femmes, et en se référant aux 1 060 femmes assassinées depuis le début des années 90 à Ciudad Juárez, ville faisant face à El Paso à la frontière Mexique - États-Unis. En 2009, 388 cas de féminicides ont été rapportés, presque toutes étant des femmes jeunes et ayant été violées ou torturées avant d'être abandonnées dans le désert.
En ce qui concerne le Chiapas, les informations disponibles sont aussi alarmantes. Selon le Collectif de Femmes de San Cristóbal et d'après une première lecture des statistiques de la violence dans l'état, le Chiapas occuperait la première place des féminicides pour le premier semestre 2009 avec 138 femmes assassinées. Soixante d'entre elles portaient des traces indiquant qu'elles avaient été victimes du trafic de personne. L'estimation des féminicides au Chiapas pour l'année 2009 passait la barre des 300.

L'exploitation par le travail le long de la frontière

Le long de la frontière Nord, les années 70 ont vu se multiplier les «maquiladoras », des usines d'assemblage où les employés sont largement exploités dans des travaux soit-disant légaux. Dans des villes comme Tijuana ou Ciudad Juárez, on peut voir aujourd'hui des parcs industriels avec des usines d'assemblage étrangères qui ne paient pas d'impôts et à qui le gouvernement fournit toutes les infrastructures nécessaires (eau, électricité, téléphone, égouts...), alors que ces mêmes services ne sont pas assurés dans les quartiers où résident les ouvriers de ces usines.
“Maquiladora” (usine d’assemblage) à Ciudad Juárez © SIPAZ
“Maquiladora” (usine d’assemblage) à Ciudad Juárez © SIPAZ
Les conditions de travail dans les maquiladoras sont généralement déplorables. Les ouvrières (car à 80 % ce sont des femmes) font des journées de travail de 10 heures, 6 jours par semaine ; elles travaillent au contact de produits toxiques et sans protection ; l'été elles souffrent de la chaleur, et l'hiver du froid. La plupart des tentatives d'organisation pour une amélioration de ces conditions se sont terminées par des licenciements. Il existe malgré tout une « Maison de la Femme Facteur X » dont la mission est de soutenir et diffuser les initiatives d'organisation des ouvrières des maquiladoras et de les accompagner dans la défense de leurs droits, droits humains en général et droits du travail et de la femme en particulier. Dans le Sud du Mexique, ce phénomène a beau ne pas exister, il peut trouver son triste jumeau dans la figure des ouvriers agricoles travaillant pour une bouchée de pain. Le Consul du Guatemala à Tapachula affirmait : « Ne serait-ce qu'à Suchiate, nous savons que dans les 60 fermes qui embauchent environ 100 ouvriers agricoles chacune, il n'y a pas un seul ouvrier mexicain... En réalité, il y a des centaines de milliers d'ouvriers agricoles guatémaltèques. »

Les défis de la problématique frontalière

Belén Posada del Migrante de Saltillo © SIPAZ
Belén Posada del Migrante de Saltillo
© SIPAZ
Face à ces problématiques imbriquées les unes dans les autres, diverses structures et organisations cherchent à construire une réponse. Une des difficultés, tant au Mexique qu'aux États-Unis, est la tendance à criminaliser l'aide aux migrants clandestins. Le Centre des Droits Humains Miguel Agustín Pro Juárez a publié un dépliant d'information intitulé « L'aide humanitaire aux migrants en situation irrégulière n'est pas un délit » qui explique la différence entre aide humanitaire (sans but lucratif) et le trafic de personnes (à but lucratif).
Près de la frontière Nord et aux États-Unis, différentes structures offrent cette aide humanitaire aux migrants. Border Angels (« Les Anges de la Frontière ») et No Más Muertos (« Pas un mort de plus ») sont des organisations qui fournissent une aide de base, par exemple en déposant des bouteilles d'eau dans le désert, ou en proposant dans leurs centres d'accueil des manteaux et des couvertures pour lutter contre le froid du désert la nuit.
D'autres organisations, comme Borderlinks, consacrent leurs efforts à l'éducation en essayant d'expliquer aux américains les raisons qui poussent les migrants à quitter leur pays. Elles dénoncent par ailleurs la politique à double face des États-Unis puisque le travail des clandestins, principalement dans l'industrie agricole, la construction et la restauration, est fonctionnel pour leur économie. D'autres organisations encore proposent des « excursions » à la zone frontalière pour comprendre in situ l'expérience vécue par les clandestins.
Au Mexique, il existe une dizaine de maisons des migrants qui leur offrent un toit, de la nourriture et de l'eau, un refuge où se reposer sur leur chemin. À Tapachula par exemple, l' « Auberge Jésus le Bon Pasteur » ouvre ses portes aux migrants gravement accidentés (qui subissent très souvent une amputation) ou malades. C'est un espace où ils peuvent recevoir des soins physiques et un accompagnement psychologique quand leur rêve de travailler aux États-Unis pour améliorer la situation économique de leur famille s'envole en fumée suite à un accident.
Belén Posada del Migrante de Saltillo © SIPAZ
Belén Posada del Migrante de Saltillo
© SIPAZ
Un autre exemple est la « Crèche Bethléem, Auberge du Migrant » de Saltillo qui ne subvenait au début qu'aux besoins fondamentaux des migrants ; et aujourd'hui leur propose, en plus de la nourriture, des vêtements, des médicaments, et d'un lieu où dormir, des conseils en matière de droits humains tout en travaillant à les restaurer dans leur dignité en tant qu'êtres humains.
Face à l'ampleur des enjeux, il est difficile de proposer une réponse intégrale. Les gouvernements des États-Unis et du Mexique se limitent à une vision de contrôle des frontières, de sécurité et de libre commerce mais sans libre circulation des personnes. Les organisations civiles et les églises ne peuvent apporter beaucoup plus qu'une aide humanitaire dans les zones qui leur correspondent. Il est évident que les problématiques frontalières ne se résoudront pas le long des frontières mais qu'elles concernent des changements sociopolitiques à bien plus grande échelle, tant au Mexique qu'hors de ses frontières.

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