Haricot Mexicain : échec au brevetage du vivant
20 juin 2008
La biopiraterie, c’est-à-dire l’appropriation de plantes et remèdes traditionnels par de grandes entreprises, commence à se heurter à la loi. Par une décision de justice qui fera date, les Etats-Unis ont annulé le brevet sur un haricot mexicain qu’avait déposé une entreprise de semences du Colorado. Ce brevet permettait à la firme de toucher de l’argent pour chaque livre de ce haricot que le Mexique exportait aux Etats-Unis, et ce, bien que celui-ci ait été cultivé au sud du Rio Grande depuis des siècles. La FAO ainsi que d’autres organismes internationaux ont déposé un recours et le haricot jaune appartient de nouveau aux agriculteurs mexicains.
Un coup porté à la « biopiraterie »
Par Rafael Mendez, El Païs, 02/05/2008
Larry M. Proctor est un type futé. C’est par son entreprise de semences, Pod Ners, qu’il découvrit en 1994 au Mexique un haricot jaune très apprécié au Colorado. Il l’acheta, le planta dans son village, prétendit que c’était le produit de croisements spéciaux et lui donna le nom de son épouse, Enola. Le 15 octobre 1996, Proctor demanda à ce que soit breveté l’Enola beans (le haricot Enola, en anglais ça fait mieux !). Il fut donc enregistré aux Etats-Unis le 13 avril 1999. Personne ne s’avisa du processus opaque. Le haricot, avec tout son matériel génétique, était désormais propriété de Proctor. Son numéro de brevet, le 5.894.079, lui donnait des droits dessus pendant 20 ans.
Quelques années après, les entreprises mexicaines commencèrent à exporter aux Etats-Unis ce même haricot, à la différence que les Mexicains l’appelaient souffré ou mayocoba. Proctor exigea d’eux 0,6 dollars (0,38 €) pour chaque livre importée. C’était trop. Il coula les importations et garda le marché.
La biopiraterie, terme désignant le fait pour des entreprises de s’approprier cultures et remèdes utilisés depuis des siècles par les agriculteurs, fonctionne ainsi. Le problème n’est pas nouveau mais s’accroît. Les médicaments, en majorité, proviennent de plantes. Les firmes pharmaceutiques envoient donc leurs chercheurs dans de lointaines forêts à la recherche de remèdes à breveter. L’un des cas les plus connus est celui de la Rose Periwinkle de Madagascar, dont la multinationale Eli Lilly a tiré un médicament contre la leucémie, le vinchristine, qui lui rapporte des bénéfices particulièrement appréciables.
Les pays les plus affectés veulent mettre un terme à ce qu’ils considèrent comme une spoliation. Le Brésil prépare un projet de loi pour contrôler l’accès des étrangers à l’Amazonie, entre autres. On soupçonne, en effet, certaines ONG qui y travaillent de rechercher secrètement pour les multinationales pharmaceutiques des dérivés végétaux parfois connus et utilisés par les Indiens. L’Institut Edmonds, des Etats-Unis, a répertorié 36 000 cas de biopiraterie touchant des pays africains ; et les Nations Unies calculent que celle-ci rapporte quelques 12 000 millions d’euros par an aux firmes pharmaceutiques. Bien entendu les pays d’origine ne reçoivent pas même les miettes de ces gains.
Mais la décision de justice sur le cas Enola, l’un des plus connus, ouvre une porte à la compensation financière. Et c’est pourquoi il acquiert une telle importance. La FAO (agence de l’ONU pour l’alimentation) et le Centre International pour l’Agriculture Tropicale (CIAT) ont entamé en 2001 le processus de récupération du brevet. Comme l’explique le responsable du CIAT, Daniel Debouck, leur action a tendu à démontrer que l’Enola était en réalité le haricot connu scientifiquement sous le nom de Phaseolus vulgaris. Le CIAT, dont le siège est à Cali (Colombie), possède la plus grande réserve de haricots au monde, avec 35 000 variétés.
Ils recoururent à la banque de semences et démontrèrent qu’elle abritait au moins six variétés qu’on ne pouvaient distinguer du haricot de Proctor. « Ce haricot, de par sa couleur, est très apprécié dans le sud-ouest des Etats-Unis et au nord du Mexique, et Proctor commença donc à intenter des poursuites contre les agriculteurs qui le vendaient », indique Debouck. Il poursuivit même en justice Tutuli Produce, dont la présidente déclara : « J’ai cru à une plaisanterie. Comment pouvaient-ils demander de l’argent pour quelque chose que les Mexicains cultivent depuis des années ? ».
Le cas devint emblématique et le bureau des brevets conclut que le haricot breveté était en réalité « une variété du haricot commun de la campagne Phaseolus vulgaris ». La décision de justice de 48 pages affirme que Proctor acheta au Mexique un paquet de graines déshydratées en 1994, qu’il les planta dans le Comté de Montrose et les laissa polliniser. Il obtint ainsi une couleur jaune uniforme et unique. Cette décision de justice présente une analyse au détail près de la génétique de la plante, de sa couleur, de sa forme, et conclut que si différence il y a, elles sont dues à des variations normales de culture liées au changement de sol et de climat, mais que cela n’implique pas que ce soit une nouvelle variété.
Proctor peut faire appel de la décision auprès du Tribunal Suprême des Etats-Unis et entamer une coûteuse procédure, mais la biopiraterie a d’ores et déjà perdu une de ses batailles les plus en vue. « Nous n’obtenons pas beaucoup de victoires comme celle-là. C’est important pour le brevet du haricot, mais surtout comme précédent établi », déclare Debouck. Les Etats-Unis ont reconnu que la biopiraterie existe et y mettent un frein. C’est une victoire pour laquelle de nombreux scientifiques et ONG se battent depuis des années.
Publication originale El Païs, traduction NP pour Contre Info
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