AU PLUS PRÈS DE TOI, MARCOS
Pendant vingt ans, le Français Mat Jacob a suivi le mouvement zapatiste mexicain
et son leader, le sous-commandant Marcos. Un travail subtil et profond à découvrir
dans une exposition à Paris et un Photo Poche.
Août 1996, le major Moises et le sous-commandant Marcos (au centre),
leaders de l'insurrection zapatiste, avec leurs hommes à La Realidad, au Mexique.
© Mat Jacob / Tendance Floue.
La scène est mystique. Comme sorti du maquis, un groupe d’hommes cagoulés avance dans la nuit noire. Au centre de l’image, l’un d’eux tire une bouffée sur sa pipe. On ne voit pas son visage et pourtant tout le monde le connaît: c’est le sous-commandant Marcos. Le leader de l’Armée zapatiste de libération nationale, énigmatique intellectuel au passe-montagne, est devenu une figure. Une icône. Et avec lui, le mouvement qu’il représente. La photo, prise par Mat Jacob en août 1996, capture un événement historique: la 1reRencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Un programme pour le moins ambitieux. La rencontre n’a pas lieu dans une capitale mondiale mais, loin de tout, précisément à La Realidad, dans l’un des Etats les plus pauvres du Mexique, le Chiapas.
Dialogue entre zapatistes et représentants du gouvernement mexicain,
en juillet 1995.
© Mat Jacob / Tendance Floue.
Tout a commencé le 1er janvier 1994. Ce jour-là, l’Accord de libre-échange nord-américain
entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique doit entrer en vigueur. En réaction, six militants d’inspiration guévariste décident de former le bras armé des communautés indiennes du Chiapas et occupent sept villes de la région. Ils déclarent une guerre formelle à l’armée mexicaine tout en demandant la destitution du président Carlos Salinas. L’information étonne la presse internationale. A Paris, Mat Jacob, cofondateur du collectifTendance Floue, apprend la nouvelle. Qui sont ces indiens qui défient le pouvoir? Un événement déclencheur le convainc d’aller les rencontrer: la sortie, en octobre 1994, du livre “Ya Basta!” (“Ça suffit!”) du sous-commandant Marcos. “C’était un mélange de communiqué militaire et de contes indiens, le tout teinté d’un humour noir propre à l’Amérique latine, se souvient le photographe. J’avais 28 ans et j’étais, comme beaucoup de mon âge, désillusionné par la politique. J’avais une envie de voyages et de découvertes, mais aussi d’expériences politiques. Avec ce plaidoyer, je découvrais une nouvelle porte d’entrée pour en faire. J’étais fasciné par ces indiens rebelles et l’imaginaire qu’il y avait autour d’eux. C’est pour prendre contact avec ces hommes, isolés au milieu de la forêt, que je me suis créé ma première adresse e-mail! J’avais appris qu’ils envoyaient leurs communiqués via Internet.”
Lors de la marche zapatiste, sur la route vers Nurio, dans l'Etat de Michoacan, en mars 2001.
© Mat Jacob / Tendance Floue.
En 1995 donc, direction le Chiapas. “Très tôt, j’ai voulu sortir du premier regard, un peu exotique,
pour porter mon attention sur leur revendication et comprendre leur combat. Le Chiapas est un Etat isolé et à l’écart du Mexique moderne, le lieu où il y a le plus d’indiens non métis.” Au fil des voyages, de 1995 à fin 2013, la situation évolue dans l’objectif du reporter. “Les premières années, on disait que la guerre était de basse intensité avec des barrages, quelques petits affrontements et la présence de groupes paramilitaires. Puis, l’armée a décidé de se retirer. Les zapatistes se sont alors refermés sur eux. C’était passionnant de les voir passer du combat armé à la construction d’écoles, de cliniques et de réseaux de communication... Ils se sont autonomisés au nez du pouvoir régional et central. Finalement, ce n’est pas l’indépendance qu’ils recherchaient, mais le respect de leur culture.”
Mat Jacob veille toutefois à ne pas tomber dans le regard condescendant ni dans la propagande.
“Au début, les zapatistes refusaient que je fasse des photos si leurs visages n’étaient pas couverts d’un passe-montagne ou par un ‘paliacate’, le foulard aux motifs indiens. Mais j’ai insisté. Ils m’ont enfermé dans une cabane, sans me demander mon avis, pour décider ensemble si je pouvais faire des photos d’eux à visage découvert. Leur système de décision repose sur la démocratie participative. Ils tous ont accepté, sauf Marcos. C’est le temps et la patience qui m’ont permis de me faire accepter.”
Mat Jacob retourne encore sur place régulièrement. Au total, il y est allé sept fois pour continuer à
raconter l’histoire de ce peuple indien qui lutte pour la reconnaissance de ses droits. Une chronique singulière et monochrome. “Ce que j’ai aimé et ce qui me motive à retourner là-bas, c’est cette manière de résister de façon pacifique. Et aussi l’énergie de l’espoir qui se dégage de leur combat.”
A voir: “Chiapas. Insurrection zapatiste au Mexique 1995-2013”, exposition à la galerie Fait et Cause, jusqu’au 30/04/2016.
A lire : “Chiapas. Insurrection zapatiste au Mexique”, de Mat Jacob, textes de Jérôme Baschet et de Christopher Yggdre,
Conte du sous-commandant Marcos, coll. Photo Poche Histoire, éd. Actes Sud, 102 pages, 13 euros. |
http://www.polkamagazine.com/33/le-mur/le-chiapas-de-mat-jacob/2020
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