Électricité de France dans l’isthme de Tehuantepec
vendredi 9 août 2019, par Josefa Sánchez Contreras
https://lavoiedujaguar.net/Ene
Face au changement climatique, l’énergie éolienne est perçue dans le monde comme une mesure écologique et alternative. En d’autres termes, ce
qui était censé être une transition écologique a, de fait, ouvert la brèche à tout un marché de crédits-carbone.
La crise environnementale, quasi incontrôlable, que nous connaissons annonce non seulement la catastrophe vers laquelle nous allons, mais
elle reste aussi accrochée au colonialisme structurel qui domine dans les pays du « premier monde » à l’égard des pays du troisième monde, ou des pays dits « émergents ». C’est le cas des investissements de
l’entreprise EDF, dont l’État français est actionnaire majoritaire, qui
ont entraîné une violence génocidaire contre le peuple binnizá (zapotèque).
Ce génocide, comme l’a dénommé Alexander Dunlap (Université d’Oslo),
s’explique à partir d’un ensemble « structurel » où entrent en jeu les
relations politiques, sociales et culturelles sur deux niveaux, au plan
international et au plan local. Concrètement, je fais référence à la
forme sous laquelle se déploie le capital français dans l’isthme de
Tehuantepec, intensifiant ainsi une économie du crime qui trouve son
reflet dans les assassinats, produits des conflits entre caciques
locaux. À ce sujet, on peut affirmer de manière catégorique que le
capital français fait bien partie de la violence structurelle qui
s’exerce actuellement contre les peuples de l’Isthme.
Vu sous cet angle, ce que l’on suppose être une alternative à la
catastrophe écologique apparaît non seulement comme une tartuferie du
capitalisme vert, mais elle se trouve aussi profondément imbriquée dans
une économie de guerre. En effet, dans la mesure où le capital français
exaspère les disputes locales, il donne des arguments à l’État mexicain
pour légitimer une intervention militaire et déployer des « bases
d’opérations mixtes » [1], qui ne sont rien d’autres que des manœuvres
pour l’occupation des routes fédérales, des entrées et des sorties des
communautés.
Voilà la tragédie de l’énergie renouvelable, qui marche dans les traces
d’un colonialisme qui bouscule de manière draconienne la vie des peuples
indigènes. Cela se manifeste concrètement par l’appropriation de leurs
territoires, la privatisation accélérée des terres communales, la
division des communautés, la modification des paysages, l’assassinat des
travailleurs, le meurtre systématique des femmes (le féminicide), la
criminalisation des comuneros, hommes ou femmes, qui prennent la défense
de la vie et du territoire, qu’ils fassent partie de l’Assemblée des
peuples indigènes de l’Isthme pour la défense de la terre et du
territoire, de l’Assemblée populaire du peuple de Juchitán ou encore de
l’Assemblée des comuneros d’Unión Hidalgo, tous faisant partie du
Congrès national indigène.
Passer d’un régime de combustible fossile à un autre fondé sur l’énergie
renouvelable pour sauver l’humanité ne devrait pas avoir pour coût la
mort des peuples indiens. Pourtant c’est bien ce qui est en train
d’arriver et une fois de plus nous sommes amenés à entrevoir la
continuité de la mentalité coloniale qui consiste à maintenir les
peuples indiens en marge de la condition humaine. C’est pourquoi il est
si difficile d’user du droit international et national pour porter un
coup d’arrêt aux violations des droits de l’homme commises par le
capital français — la France étant paradoxalement « le berceau des
droits de l’homme ».
Alors que trois parcs d’éoliennes d’EDF Énergie nouvelles sont déjà
installés, l’Assemblée zapotèque des comuneros d’Unión Hidalgo lutte sur
le plan juridique et pacifiquement contre le quatrième parc d’EDF-EN
appelé « Gunaa Sicarú » comprenant 96 aérogénérateurs sur 4 400 hectares
de terres communales.
Face à l’opposition des assemblées et aux constantes dénonciations
concernant les violations des droits indigènes et agraires, le
secrétariat à l’Énergie (Sener) s’est vu dans l’obligation d’avoir
recours à une consultation indigène. Cependant celle-ci est pleine
d’irrégularités, elle n’a pas respecté deux des préréquisitions de la
Convention 169 de l’OIT (la consultation doit en effet être préalable au
démarrage des travaux et fournir toute l’information nécessaire au libre
choix).
En faisant valoir l’histoire et le droit, l’assemblée des comuneros a
réussi en 2018 à obtenir du premier juge de district de l’État d’Oaxaca
la suspension de la procédure de la consultation et, avec elle, celle de
la construction du parc d’éoliennes. Cependant, fin 2018, cette
procédure a été réenclenchée, et nous sommes censés nous trouver
actuellement dans la première phase d’accords préalables, dans un climat
détestable de menaces de mort en direction des comuneros.
Parmi les irrégularités de la consultation, on retiendra le refus de la
part du Sener et de l’Institut national des peuples indigènes (INPI) de
reconnaître le représentant des biens communaux comme relevant du sujet
collectif à consulter, alors même qu’ils signalent l’Assemblée d’Union
Hidalgo comme étant une institution représentative de la communauté
indigène. Cette ambiguïté maintenue délibérément révèle la sujétion dans
laquelle se trouve l’INPI à l’égard de la politique néolibérale menée
par les ministères de l’énergie et de l’économie ; autrement dit cet
assujettissement de l’INPI montre bien que le discours tenu par le
gouvernement sur la reconnaissance des peuples comme sujet de droit
n’est qu’un voile qui cache l’accaparement des terres et des territoires
dont souffrent encore les peuples indigènes de ce pays.
La contradiction flagrante entre l’économie néolibérale menée par le
gouvernement de la « quatrième transformation » et la pleine
reconnaissance des droits des peuples indiens est une réalité
incontournable en ces temps de consultations simulées. Éclairés sous ce
jour, les parcs d’éoliennes apparaissent non seulement comme une
hypocrisie sur le plan de l’énergie « propre », mais ils participent en
outre au génocide des peuples qui est en train de se dérouler sous nos yeux.
Josefa Sánchez Contreras
Traduction : Georges Lapierre.
Texte d’origine paru dans Ojarasca,
Mexico, juillet 2019.
Notes
[1] Elles sont dites mixtes car elles sont constituées par des éléments
de l’armée et de la police.
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