CNI: La traversée que nous allons faire vers l'Europe est un nouveau pas pour fortifier nos résistances.

Vers l'Europe - Front des Peuples en Défense de la Terre et de l'Eau de Morelos, Puebla et Tlaxcala
29 avril 2021.

La traversée que nous allons faire vers l'Europe aux côtés de nos compañeras et compañeros de l'EZLN et du Congrès national indigène est un nouveau pas pour fortifier nos résistances et nos rébellions, en tant que peuples que nous sommes et qui luttons depuis des années contre l'avancée vorace de cette hydre capitaliste qui nous pille, nous appauvrit, nous violente et nous assassine sur nos territoires.

Une des choses que nous avons apprises dans notre cheminement et dans notre lutte, c'est que plus nous serons nombreux à résister et à croire qu'il est possible, dans notre cheminement, de construire d'autres voies en dehors du système, plus nous serons forts. C'est pour cela qu'il nous semble très important de rencontrer dans d'autres géographies des compañeras et des compañeros d'autres pays qui, à leur façon, sont en résistance et en rébellion.

Rencontrer d'autres personnes sous d'autres latitudes de manière horizontale, sous forme d'assemblée, comme nous le faisons dans nos communautés. Nous rencontrer pour partager nos joies, nos tristesses. Nous connaître - nous écouter - partager depuis nos cheminements différents la manière dont nous voyons les choses, comment nous les faisons, comment nous voyons le futur que nous croyons possible. Cela est très important, briser les distances géographiques, les distances culturelles, en finir avec la relation de domination et de mépris imposée depuis des siècles entre Européens et Méso-américains. C'est cela qui a permis le renforcement du capitalisme insipide des siècles précédents et qui reste présent jusqu'à aujourd'hui dans nos têtes et dans les formes structurelles des sociétés dans le monde.

Nous croyons qu'il y a dans le monde entier des compañeras et des compañeros de différentes couleurs, origines, langues, identités de genre et nationalités qui pensent aussi qu'il est important de rompre avec ces manières de structurer et de comprendre le monde. C'est pour cela que nous croyons à l'importance et à la pertinence de ce voyage pour nous rencontrer, pour intégrer plus de couleurs et de fils à ce grand tissage que nous, qui croyons qu'un autre monde, un autre présent et un autre futur sont possibles, sommes en train de faire : ce tissage de résistances et de rébellions qui couvriront le monde d'espérance et de joie en ces temps de désolation et de désespoir.

Un autre élément aussi important à nos yeux est le fait de dénoncer tout le pillage et la violence que nous vivons dans nos différents territoires du fait des mauvais gouvernements et de l'intérêt des entreprises européennes, avec leurs politiques extractivistes qui nous pillent, nous violentent et nous assassinent. En tant que Front des Peuples en Défense de la Terre et de l'Eau de Morelos, Puebla et Tlaxcala, en tant que peuples nahuas qui vivons sur les pentes du volcan Popocatepetl, nous sommes en lutte contre le Projet intégral Morelos (PIM), un projet énergétique qui comporte un gazoduc de 160 km traversant trois États (Puebla, Tlaxcala et Morelos) dans une zone à haut risque d'éruption du volcan Popocatepetl (le plus actif du Mexique) et qui a pour concessionnaires les entreprises espagnoles Elecnor, Enagas, et comme sous-traitante l'entreprise italienne Bonatti ; deux usines thermoélectriques à cycle combiné et un aqueduc, dont la construction a été concédée à l'entreprise espagnole Abengoa, qui  détournera l'eau du fleuve Cuautla.

Ce projet sera porteur de différents impacts environnementaux et sociaux sur la vie elle-même, pour nos territoires dont plus de 100 villages seront affectés. Le but ultime du PIM n'est pas de générer de l'énergie pour les populations humaines, mais de fournir en énergie et en gaz naturel les différentes industries qui s'implanteront. En réalité, le PIM est la base pour développer différents couloirs industriels, qui incluent des mines et une plus grande présence des groupes de la délinquance organisée, dans l'Est de l'État de Morelos et dans l'Ouest de l'État de Puebla. Ces couloirs industriels cherchent à nous faire abandonner notre activité agricole, notre vie paysanne et communautaire pour nous dépouiller de nos terres et eaux et nous jeter dans les usines sans posséder rien d'autre que nos mains, créant ainsi des ceintures de misère dans nos villages. Des entreprises comme Saint-Gobain, de par leur besoin d'approvisionnement en gaz naturel, sont les principales intéressées et ont fait pression pour le lancement du projet. D'autres entreprises comme Nissan et General Motors sont aussi intéressées par ce projet.

C'est pour tout cela que nous, différents peuples affectés par le PIM, nous luttons depuis déjà plus de 10 ans. Pendant ce temps, à cause des mauvais gouvernements et des entreprises en place nous avons vécu la diffamation, la répression, la torture, les menaces, la prison pour des raisons politiques et l'assassinat de notre compañero Samir Flores Soberanes, de la communauté d'Amilcingo, dans la Morelos. Mais pendant ces années, nous avons aussi appris à cheminer ensemble en tant que peuples, à lutter et à avancer pour vivre selon nos façons de voir et d'entendre le monde ; c'est un chemin vers l'autonomie dans nos communautés, avec nos gouvernements selon les us et coutumes, avec nos radios communautaires et avec différents comités qui permettent la vie communautaire.

Vers l'Europe, et bien allons-y, pour ouvrir les chemins, pour nous rencontrer, pour tisser des liens avec ceux qui voudraient nous écouter, qui voudraient nous rencontrer, pour entrer dans la trame de ce grand tissu de résistances et rébellions du monde ; là-bas, nous y allons.