Honduras :
Déprédations transnationales et capitalisme vert
Après
le coup d’Etat de 2009, sous le régime de facto de Micheletti puis
sous l’administration de Porfirio Lobo Sosa, avec un Congrès
dominé par le Parti National, une avalanche de concessions et permis
environnementaux frauduleux se sont empressés d’adjuger le
territoire hondurien par portions aux compagnies minières, de
tourisme, d’exploitation forestière et d’énergie hydraulique
désireuses de faire main basse sur les “ressources naturelles”
du pays. En 2011, le régime annonce la couleur avec la tenue a San
Pedro Sula du forum “Honduras is open for business”, réunion
de représentants de gouvernements, transnationales et investisseurs
de quelques soixante-quinze pays destinée à encourager
l’investissement direct étranger dans les secteurs de l’énergie,
du tourisme, des infrastructures, des services, du textile, de
l’agro-alimentaire et des ressources naturelles. “Exporter c’est
progresser”. “Nous sommes ici parce que nous faisons confiance au
travailleur hondurien” proclament les écriteaux sur l’autoroute
de San Pedro a Puerto Cortes, zone franche d’exportation ou opèrent
les maquilas, usines de fabrication de vêtements ou les droits du
travail n’ont pas droit d’entrée et qui emploient plus de
100,000 personnes, dont plus de 80% de femmes, souvent jeunes, ayant
émigré a la ville.
Depuis
les années 1980 et la crise de la dette, dans le cadre des
programmes d’ajustement structurel, le FMI et la Banque mondiale
ont réorienté l’économie hondurienne sur deux secteurs :
l’agro-export et la maquila. Le long de la côte atlantique, les
plantations de palme africaine n’ont cessé de s’étendre au
point que certains évoquent une “république palmière”,
incarnée par Miguel Facussé, oligarque de grande influence, oncle
de l’ex-président Carlos Flores Facussé (1998-2002), propriétaire
d’immenses étendues de palme africaine et de la corporation
agro-alimentaire Dinant. Responsable de l’assassinat de dizaines de
paysans sans terre dans la région du Bajo Aguan, ex-“capitale de
la réforme agraire” reconvertie en symbole de la monoculture
latifundiaire, Miguel Facussé s’est lancé dans le greenwashing,
en prétendant instaurer des “réserves naturelles privées” sur
les terres qu’il s’est accaparées dans la zone de Punta Izopo
(Triunfo de la Cruz) et dans la péninsule de Zacate Grande, sur la
côte Pacifique. Pour comble, la corporation Dinant a bénéficié,
dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre du protocole de
Kyoto, de fonds multimillionnaires de la Banque mondiale, de la
Banque Interaméricaine de Développement, du gouvernement
britannique, d’EDF et du bailleur de fonds allemand DEG, pour
l’expansion des plantations de palme africaine, censée contribuer
à la réduction des émissions de carbone via la production
d’hydrocarbures. Miguel Facussé avance lui-même l’argument
selon lequel les agro-carburants constituent une alternative à la
crise pétrolière. La culture de la palme africaine,
systématiquement encouragée, dans la zone Nord, par l’Institut
National Agraire, pourrait atteindre, selon le Secrétariat de
l’Agriculture et de l’Elevage, les 160 mille hectares à la fin
de l’année (contre quelques 105 mille il y a trois ans) aux dépens
des cultures vivrières, de la sécurité alimentaire, des
communautés locales et des forêts tropicales.
Dans
la même perspective, le projet ONU-REDD (Réduction des Emissions
liées à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts), lancé
en 2008 suite à la Conférence des Parties à la Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques de Bali, sous
l’égide de la Banque Mondiale, de la FAO, du PNUD et du PNUE
(Programme des Nations Unies pour l’Environnement), géré par les
gouvernements, entreprises et ONG de “conservation”, part de
l’hypothèse que l’attribution d’une valeur marchande aux
espaces forestiers est la condition nécessaire à leur préservation.
Concrètement, il s’agit de récompenser les gouvernements,
compagnies et propriétaires pour la réduction des émissions de CO2
liées à la déforestation et la dégradation des forêts. Les
forêts sont ainsi considérées non comme des écosystèmes mais des
stocks de carbone, ce qui permet d’inclure les plantations dans le
mécanisme de subventions et d’émission de crédits-carbone – et
d’encourager ainsi la déforestation, de même que la spéculation
commerciale sur les crédits d’émission et l’accaparement des
terres (conséquences observées dans les projets pilotes en
Papouasie Nouvelle-Guinée, en Indonésie et en Afrique centrale).
Les projets REDD et REDD+ (ce dernier incluant le carbone des sols et
de l’agriculture – donc, potentiellement, les cultures
transgéniques) ne prennent pas en compte la vision des communautés
locales, menacent leurs territoires et méconnaissent le droit à la
consultation préalable, libre et informée (CPLI) desdites
communautés. Ils méprisent et ignorent du même coup les cultures
et savoirs des peuples indigènes, la complexité des écosystèmes
forestiers quant à la captation des eaux, la biodiversité, etc. –
au profit d’une logique marchande qui, loin de solutionner le
problème, ne fait que reproduire la déprédation capitaliste des
derniers espaces naturels et de leurs ressources.
En
Amérique centrale, le programme REDD/REDD+, en phase préparatoire,
est administré par l’agence de coopération allemande Gesellschaft
für Internationale Zusammenarbeit (GIZ).
En mars 2013, le Conseil Indigène Centraméricain (CICA) dénonçait
dans une lettre ouverte “l’intolérance
raciale et la discrimination”
des procédures du programme. Au Honduras, l’Organisation
Fraternelle Noire Hondurienne (OFRANEH), le Conseil d’Organisations
Populaires et Indigènes du Honduras (COPINH – fédération lenca),
ainsi que des représentants des fédérations miskito, tawahka,
chorti et tolupane, ont dénoncé les fausses procédures de
consultation et de cooptation de “leaders
communautaires”
et manifesté leur rejet de toute application du programme sur les
territoires communautaires qu’ils défendent à l’ensemble des
institutions promotrices et participantes – dont l’ONG Rainforest
Alliance et l’agence américaine USAID.
Les
programmes REDD et REDD+ représentent la tentative d’inclure les
forêts tropicales dans les marchés d’émission – dont
l’inefficacité pour combattre le réchauffement climatique n’est
plus à prouver – dans des contextes nationaux dont les niveaux de
corruption font craindre l’intromission des milieux du crime
organisé, déjà fortement implantés à tous les niveaux de l’Etat
et de l’économie. Surtout, ils ne sont qu’un aspect des
politiques d’accaparement et d’exploitation des biens communs,
via l’octroi systématique de concessions territoriales. En mai
2013, sans le moindre débat, les députés du Parti National au
pouvoir ont adopté un contrat d’exploration pétrolière avec la
transnationale anglaise BG International Limited (BGI) pour plus de
35 mille kilomètres carrés sur le territoire maritime de la
Mosquitia. Via le Secrétariat des Ressources Naturelles (SERNA) et
la Commission pour l’Alliance Public-Privé (COALIANZA), les
concessions minières et hydroélectriques ont été émises par
dizaines, au bénéfice des transnationales et de l’oligarchie
nationale et au détriment des communautés locales et du cours des
rivières, conduisant à l’expropriation des terres, à la
privatisation des eaux et, à terme à l’assèchement des zones
humides et à une aggravation de la vulnérabilité aux catastrophes
naturelles.
Sur
le fleuve Patuca, second d’Amérique centrale, qui court sur
quelques 500 km de la cordillère centrale à la Mosquitia, trois
méga-projets de barrage ont été confiés, en 2010, à la
multinationale chinoise SINOHYDRO. La zone littorale atlantique et la
zone occidentale sont particulièrement affectées par la
multiplication des concessions minières et hydro-électriques. La
construction de barrages est encouragée par les bailleurs de fonds
internationaux au titre de l’énergie renouvelable, et les critères
de réduction d’émission de CO2 autorisent la vente ultérieure de
crédits-carbone. Le barrage d’Agua Zarca (entreprises DESA et
SINOHYDRO), sur la rivière Gualcaque, communauté de Río Blanco,
dans le département d’Intibucá, a ainsi bénéficié de fonds de
la BCIE (Banque Centraméricaine d’Intégration Economique) et de
la Banque Commerciale et Financière Hondurienne FICOHSA, laquelle en
novembre 2012 a passé contrat pour 20 millions de dollars avec
PROPARCO, groupe de l’Agence Française de Développement dédié
au financement de projets privés d’énergie renouvelable. Face à
l’opposition constante de la communauté de Río Blanco, appuyés
par le COPINH, militants des droits de l’homme et observateurs
internationaux, la zone a été militarisée. Le 15 juillet, Tomás
García, militant du COPINH, a été tué par balles par l’armée
sur les lieux de la mobilisation. Un procès a été intenté à
l’encontre de Berta Cáceres, coordinatrice générale du COPINH,
de Tomas Gómez Membreño et d’Aureliano Molina, également membres
de la direction du COPINH, pour “coaction”
(délit vaguement défini par le Code pénal comme l’agissement de
“qui sans y être
légitimement autorisé empêcherait autrui de faire ce que la loi
n’interdit pas (…) que ce soit juste ou injuste”)
et dommages à l’entreprise. Le 20 septembre, le tribunal de La
Esperanza ordonné une peine de prison préventive dont l’application
reste en suspens. L’avocat de Berta, Tomas et Aureliano, Victor
Fernandez, membre du Mouvement Ample pour la Dignité et la Justice
(MADJ), est lui-même objet d’une plainte similaire dans l’affaire
de Nueva Esperanza, où l’entreprise Minerales Victoria, liée au
groupe Inversiones EMCO, fait régner la terreur dans la communauté
– au point de séquestrer, le 25 juillet dernier, deux observateurs
du Programme d’Accompagnement International au Honduras (PROAH). Le
groupe de construction EMCO, propriété de Lénir Pérez, gendre de
Miguel Facussé, a récemment étendu ses activités à
l’exploitation de l’oxyde de fer le long du littoral atlantique.
Le 25 août, dans le département de Yoro, trois indigènes tolupanes
ont été assassinés par des tueurs à gage alors qu’ils
participaient à une mobilisation contre l’exploitation illégale
du bois et de l’antimoine sur les terres ancestrales de la tribu de
San Fransisco de Locomapa.
Le
coup d’Etat du 28 juin 2009 a déchaîné une vague de violence et
de répression qui se traduit par les exécutions ciblées et la
persécution judiciaire des activistes qui défendent la souveraineté
du peuple hondurien et le droit des communautés sur leurs
territoires et luttent pour une refondation du pays où les principes
de justice sociale et d’autonomie des communautés noires et
indigènes aient force de loi. L’effondrement de l’Etat de droit
et des institutions publiques et la criminalisation des mouvements
sociaux, dans un climat d’impunité totale et de dictature civile
du Parti National dont la majorité au Congrès piétine sans hésiter
le principe de séparation des pouvoirs (cas de la destitution des
juges de la Cour Suprême ayant voté l’inconstitutionnalité des
charter-cities ou
ciudades modelos
– le seul juge s’étant prononcé pour ayant été nommé
Procureur général de la République le 31 août dernier, tandis que
Rigoberto Cuellar, ex-ministre de la SERNA, était nommé procureur
adjoint) afin d’asseoir sa domination au service des oligarques
nationaux et des entreprises multinationales lancés dans une guerre
ouverte pour le contrôle des terres et des ressources du pays, où,
ainsi que dans l’ensemble du sous-continent, les communautés
paysannes, noires et indigènes ont le plus à perdre et payent le
prix fort, sous couvert d’un maquillage social ou
écolo-participatif dérisoire qui ne fait que souligner le cynisme
d’un système dont le seul objet – la maximisation des profits à
court-terme – est incompatible avec le simple respect de la vie et
des principes élémentaires de justice.
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