ALERTE : ACTIVISTES GARIFUNAS EN DANGER. ENLEVEMENT DE MIRIAM MIRANDA, COORDINATRICE de l’ORGANISATION FRATERNELLE NOIRE DU HONDURAS (OFRANEH).
Honduras : Violence politique, guerre sociale et défense des terres
La violence politique et sociale ne connaît plus de limite au Honduras, pays qui enregistre aujourd’hui le taux d’homicide le plus élevé au monde. Depuis le coup d’Etat de juin 2009i, des dizaines d’avocats, journalistes et militants politiques ont été assassinés en toute impunité. Violence d’Etat et crime organisé sont de plus en plus difficile à distinguer dans un pays livré au pouvoir du narcotrafic et des mafias d’oligarchies locales qui contrôlent l’appareil politique et économique du pays, dont les deux tiers des habitants vivent en dessous du seuil de pauvretéii. La côte caraïbe, couloir d’acheminement de la drogue en transit vers le Nord, est la région la plus affectée par cette spirale de violence et d’impunitéiii.
Taux d’homicide pour 100,000 habitants en 2012, par départements. Source : Observatoire de la Violence, Université Autonome du Honduras http://iudpas.org/boletines/boletines-nacionales
A l’est de Trujillo et de la vallée de l’Aguan, théâtre d’une guerre sanglante contre les organisations paysannes en lutte contre les grands propriétaires des plantations de palme africaineiv, une frange littorale de quelques dizaines de kilomètres, qui abrite une vingtaine de communautés garífunasv, s’est convertie en une zone stratégique de transport et de (ré)embarquement de la drogue en provenance d’Amérique du Sud. De Santa Rosa de Aguan à la Moskitia, territoire de lagunes et de forêt tropicale qui s’étend jusqu’au nord-est du Nicaragua, l’isolement des villages garífunas et miskitosvi les désigne comme cible privilégiée des barons locaux et de la militarisation sous contrôle des Etats-Unis qui prennent prétexte du trafic de drogue pour accroître leur présence dans la région.
Ainsi le 11 mai 2012, quatre personnes (dont deux femmes enceintes et un adolescent) ont été tuées et sept autres blessées par des balles de mitraillette M60 tirées depuis un hélicoptère de la DEA contre une embarcation de transport sur le fleuve Patuca, lors d’une opération conjointe avec des militaires honduriensvii. Face aux intérêts stratégiques liés à l’exploitation des ressources naturelles, les « peuples noirs et indigènes de la Moskitia » avaient réaffirmé leur droit à l’autonomie et leur rejet des concessions pétrolières et des mégaprojets hydro-électriques sur le fleuve Patucaviii .
Communautés garifunas comprises entre la baie de Trujillo (à l’ouest) et le territoire de la Moskitia (à l’est). Source : OFRANEH http://www.ofraneh.org/ofraneh/ciudad_modelo.html
Situés entre les communautés de Limón et Punta Piedra, les quelques 980 hectares des terres de Vallecito, emblématiques de la lutte pour la défense des territoires du peuple garífuna menée par de l’Organisation Fraternelle Noire du Honduras (OFRANEH), ont été accaparés à plus de 80% par des familles liées au narcotrafic et autres propriétaires terriens, dont Miguel Facussé, le plus grand propriétaire de plantations de palme africaine du paysix. En 2012, après plusieurs semaines d’occupation collective et pacifique d’hommes et femmes venus de toutes les communautés garífunas du Honduras, la police est finalement intervenue pour permettre aux fonctionnaires de l’Institut National Agraire de procéder aux mesures permettant de revalider les titres de propriété octroyés en 1997 au nom de 6 coopératives agricoles garífunas. Cependant, le campement garífuna de Vallecito a été, depuis lors, le siège d’invasions et de menaces constantes.
Action de récupération des terres de Vallecito, lors d’une assemblée de solidarité en mai 2013 (photo : O.C.). |
Dans la matinée du 17 juillet, Miriam Miranda, coordinatrice de l’OFRANEH, ainsi qu’un groupe d’une vingtaine de membres de l’organisation, ont été séquestrés par un groupe d’individus lourdement armés. Certains d’entre eux ont réussi à prendre la fuite, provoquant le désistement des ravisseursx.
Ce fait alarmant illustre la faillite complète de l’Etat de droit et l’extrême vulnérabilité des activistes et défenseurs des droits de l’homme au Honduras, paysans, peuples autochtones, travailleurs, féministes, étudiants, qui vivent dans la menace constante d’attentats contre leur personne, et qui pourtant continuent de lutter pour le droit à la vie, à la terre, à la justice et à la démocratie, contre un gouvernement dont l’unique réponse politique est la répression sociale de masse, la criminalisation des mouvements sociaux et le néolibéralisme à outrancexi. Rappelons par exemple que le projet de « ciudades modelos » ou « charter cities », rebaptisées « Régions Spéciales de Développement » (RED) puis « Zones d’Emploi et de Développement Economique » (ZEDE), enclaves fiscales et administratives soustraites à la juridiction nationale au profit d’un régime d’autonomie normative et financière susceptible d’attirer les investisseurs en quête de main d’œuvre docile et de ressources naturelles à exploiter, suit son cours après que la Cour Suprême ait rejeté, en mai dernier, les recours d’inconstitutionnalité déposés par plus de 50 organisationsxii.
Près de la moitié des sites potentiels pour l’implantation de « ciudades-modelos » (6 sur 14) se trouvent sur la côte caraïbe du pays, menaçant directement un grand nombre de communautés garífunas, en violation ouverte des titres de propriété collective dont elles disposent, de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail et du droit à la consultation préalable, libre et informée des peuples indigènes.
Carte des emplacements potentiels des « ciudades-modelos » ou « charter-cities », rebaptisées « Zones d’Emploi et de Développement Economique ». Source : site officiel du gouvernement http://zede.gob.hn/
Carte des emplacements potentiels des « ciudades-modelos » ou « charter-cities », rebaptisées « Zones d’Emploi et de Développement Economique ». Source : site officiel du gouvernement http://zede.gob.hn/
Face au non respect des traités internationaux souscrits par l’Etat hondurien, et au climat de terreur sociale et politique qui règne dans le pays, les mesures de protection décrétées par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme ne semblent plus suffisantes pour assurer la sécurité de celles et ceux qui risquent leur vie tous les jours pour la résistance qu’ils opposent aux logiques destructrices des mafias politico-financières du pays et des nouveaux placements du capital transnational, désireux de proportionner leurs profits à la détresse d’hommes, femmes et enfants qui pour fuir la violence et la pauvreté s’exilent chaque jour par milliers sur les routes du Mexique et des Etats-Unisxiii, où l’on projette désormais d’équiper de bracelets électroniques les détenus en attente de jugement pour désengorger les centres de rétention à la frontièrexiv.
Confrontés à de telles licences dans la dégradation de tout principe de liberté, de dignité humaine et de démocratie, nous ne pouvons rien moins que relayer ces informations et manifester notre soutien et notre solidarité aux compagnons en lutte du Honduras. Nous demandons à toute personne ou collectif concerné de bien vouloir diffuser ce communiqué, ainsi que les sources et liens mentionnés ci-dessous.
Amérique centrale, 18 juillet 2014.
Solidarité:
(ou en français à espoirchiapasfrance at gmail.com, nous les traduirons et les enverrons)
Dénoncez
+ D'informations:
En Français:
1 Le 28 juin 2009, un coup d’Etat militaire, impulsé par une grande partie de l’oligarchie et de la classe politique qui se partage le pouvoir sous un régime de bipartisme (Parti Libéral / Parti National), a expulsé le président Manuel Zelaya Rosales du pays. Revenu en mai 2011 suite aux Accords de Carthagène, celui-ci, s’appuyant sur le mouvement populaire dont les différents secteurs et organisations (paysans, indigènes, ouvriers, étudiants et professeurs, féministes, écologistes, etc.) s’étaient regroupés au sein du Front national de Résistance Populaire (FNRP), a présidé à la fondation du parti Liberté et Refondation (LIBRE).
3 Voir par exemple la chronique de Daniel Valencia Caravantes « Atlántida se hunde » : http://www.salanegra.elfaro.net/es/201108/cronicas/5363/
4 Enclave bananière durant une grande partie du XXème siècle, la côte nord hondurienne, qui bénéficie d’un climat humide et de terres fertiles, est désormais recouverte, d’est en ouest, par d’immenses plantations de palme africaine. Sur l’expansion de la culture de palme, la (para)militarisation et le conflit de terres dans la vallée de l’Aguan :
« Banco Mundial, Paramilitarismo y Palma Africana »
« El Peligro y Zozobra continua acechando al movimiento campesino del Bajo Aguan » http://radioprogresohn.net/index.php/comunicaciones/noticias/item/938-el-peligro-y-zozobra-contin%C3%BAa-acechando-al-movimiento-campesino-del-bajo-agu%C3%A1n
5 Autrefois appelés Caraïbes Noirs, les Garifunas (ou Garinagu) sont les descendants d’esclaves naufragés et en fuite réfugiés sur l’île de Saint-Vincent, dans les petites Antilles, auprès des Indiens Caraïbes, dont ils ont adopté la culture et la langue, laquelle inclut également de nombreux apports du français. Les Garifunas, alliés à la France lors de la dernière guerre de Saint-Vincent (1795-1797), sont finalement vaincus et déportés vers les côtes honduriennes, où les survivants ont fondé de nombreux villages tout au long du golf du Honduras (Belize, Guatemala, Honduras) et au Nicaragua. Ces villages, ou communautés, constituent aujourd’hui un territoire ancestral menacé par le tourisme, l’avancée de la frontière agricole et notamment de la monoculture de la palme africaine.
6 Quatre ethnies indiennes et afro-indiennes habitent le territoire de la Moskitia (département de Gracias a Dios, la zone la moins densément peuplée du pays) : les peuples Miskito, Tawahka, Pech et Garifuna.
7 « Agentes de la DEA asesinan a miskitos en Honduras » (coupures de presse)
« Masacre en la Mosquitia » (analyse par le reporter et journaliste suédois Dick Emmanuelson)
8 « Declaración de los Pueblos Indígenas y Negros de la Moskitia Hondureña »
Voir aussi la déclaration finale de l’assemblée nationale des peuples «de la terre et de la mer », dans la communauté garífuna de San Juan Durugubuti, Tela, quelques jours après l’assemblée d’Ahuas:
Rappelons qu’en mai 2013, le Congrès a voté sans débat une concession d’exploration/exploitation pétrolière à la compagnie British Gas, sur plus de 35 mille kilomètres carrés de plateforme continentale au large des côtes de la Moskitia : http://ofraneh.wordpress.com/2013/10/15/honduras-petroleo-el-grupo-bg-y-la-farsa-de-la-consulta-estilo-serna/
9 Voir le rapport de l’OFRANEH, « La defensa del territorio de Vallecito » http://www.ofraneh.org/ofraneh/informe_vallecito.html
10 Voir le communiqué de l’OFRANEH, « Narco Pista, Despojo Territorial y Rapto de Integrantes de OFRANEH »
11 Le gouvernement de Juan Orlando Hernandez, ex-président du Congrès, est parvenu au pouvoir suite à une fraude électorale massive en novembre 2013, tout comme le gouvernement post-coup d’Etat de Porfirio Lobo Sosa (tous deux du Parti National), dont il a entrepris d’aggraver les tendances autoritaires, néolibérales et patrimonialistes. Sur la répression, la violence et la criminalisation – et notamment la récente création d’un corps de « police militaire » par les députés du Parti National –, voir par exemple le communiqué de Radio Progreso, « Impunidad y Militarismo prevalecen a 5 años del Golpe de Estado »
12 Les magistrats de la Cour Suprême qui avaient voté l’inconstitutionnalité du projet de « ciudades modelos » avaient été illégalement destitués par le Congrès national en décembre 2012. Voir « Las ZEDE y la Falta de Aplicación de la Consulta-Consentimiento Previo Libre e informado http://ofraneh.wordpress.com/2014/06/26/las-zede-y-la-falta-de-aplicacion-de-la-consulta-consentimiento-previo-libre-e-informado/
13 Sur la crise de la migration de jeunes mères et mineurs centraméricains aux Etats-Unis :
Rio Grande border sees 57,000 young migrants in nine months : http://www.theguardian.com/world/2014/jul/12/rio-grande-border-us-united-states-children-migrants
« La crisis de los menores migrantes en EUA: los niños no se van: se los llevan » http://www.elfaro.net/es/201407/noticias/15683/
« La nueva diáspora Garífuna : “DACA” y la trampa de un espejismo fatal » http://ofraneh.wordpress.com/2014/06/09/la-nueva-diaspora-garifuna-daca-y-la-trampa-de-un-espejismo-fatal/
14 « U.S puts forth plan to slow wave of immigrants at Texas border » http://www.expressnews.com/news/local/article/U-S-puts-forth-plan-to-slow-wave-of-immigrants-5568651.php#/0
No hay comentarios.:
Publicar un comentario