Le Congrès national indigène fête ses vingt ans
Dans cet article publié par la voie du Jaguar, Georges Lapierre nous décrit son point de vue et quelques pistes d'analyse autour de la proposition de l'EZLN et du CNI (Congrès National Indigène) de proposer
lundi 17 octobre 2016, par
Publié : LavoieduJaguar
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Para los pueblos indígenas, campesinos y rurales, la tierra y el territorio son más que trabajo y alimentos : son también cultura, comunidad, historia, ancestros, sueños, futuro, vida y madre.
Andrés Aubry
Le cinquième Congrès national indigène s’est ouvert sur un coup de théâtre dont les échos et le bruit vont alimenter la rumeur pendant un certain temps et hanter les têtes fragiles. La pièce a commencé le premier jour de la rencontre, lundi, et à huis clos. Elle se jouait entre les délégués du CNI et la comandancia de l’EZLN au grand complet, et impossible de s’approcher de l’auditorio pour écouter aux portes !
Pourtant vers cinq heures de l’après-midi, tous ont dû sortir pour aller manger et, malgré un cordon de sécurité qui nous interdisait de les rejoindre, le secret, tout relatif, des délibérations a filtré et notre curiosité a été satisfaite. Enfin nous avons fini par savoir ce qui se tramait et ce qui pouvait bien les retenir pour un débat si long et si intense ! D’ailleurs ce débat, tout particulièrement animé, n’était pas terminé et il allait reprendre après le repas pour se poursuivre jusqu’au soir. J’étais parti depuis longtemps.
Mais qu’est-ce qui pouvait bien susciter une telle discussion, pour aboutir à un accord bien fragile au départ ?
Profitant d’une ouverture des futures élections présidentielles, sous certaines conditions, à des candidats indépendants, la comandancia avait proposé aux délégués du CNI de présenter un candidat à l’élection présidentielle de 2018. Une telle proposition, prenant à contre-pied les convictions les plus affirmées concernant le rejet des partis et, plus généralement, de la politique, a dérouté bien des gens et suscité un lever de boucliers, non seulement parmi les délégués, mais aussi parmi les adhérents à la Sexta présents à ce rendez-vous. Les zapatistes seraient-ils retombés dans leur travers et leurs vieux démons, plus exactement, leur vieux démon au singulier : la politique ?
La question centrale des peuples indiens a toujours été de se faire entendre par la société mexicaine. Ne serait-ce pas là une nouvelle et, sans doute vaine, tentative pour être écouté par une société civile sourde d’oreille ? Les zapatistes prennent un énorme risque, celui de se discréditer, pour seulement faire entendre leur voix, comme si les mass media, la prensa de paga, et le monde politique dans son ensemble, n’allaient pas sauter sur l’occasion pour les calomnier et rendre du coup inaudible leur voix et inconsistant leur point de vue !
Cette initiative zapatiste n’est-elle pas ambiguë, à cheval entre le travail obscur d’une reconstruction et la publicité de cette expérience ? Entre la voie que je qualifierai de sociale et la voie politique ? Ces deux options ne sont-elles pas incompatibles ?
Alors que les peuples, face à l’offensive brutale et tous azimuts des transnationales, sont conduits à se ressaisir de ce qui les fonde comme peuples : le territoire et la terre, l’assemblée et les décisions collectives, la communauté et l’esprit de la communauté (la communalité), la relation construite avec le cosmos et leur cosmogonie, la proposition de l’EZLN ne risque-t-elle pas de contrarier et même prendre de court ce lent travail sur soi ? Il y avait de quoi être décontenancé ! Et les discussions, les incompréhensions, les doutes allaient tisser la toile de fond de ce rendez-vous national.
Après ce coup de vent, la rencontre semblait reprendre et suivre un cours plus tranquille pour parler le jour suivant (mardi) dans quatre ateliers de la répression et de la mainmise sur les ressources et les richesses des communautés ; des luttes et des résistances ; de la place, du rôle et de l’activité du CNI au cours de ces vingt années ; et, en dernière instance, de son avenir [1].
Mercredi, les zapatistes fêtaient les vingt ans du CNI à Oventik dans un accueil chaleureux et par la démonstration grandiose d’un défilé militaire qui n’en était pas un : un défilé qui ne prenait pas la ligne droite habituelle de tous les défilés militaires mais la ligne courbe et poétique des cinq caracoles, ce qui a fortement impressionné l’assistance. En plus le caldo de res était délicieux, ¡muy sabroso !
Jeudi, dernier jour, nous allions revenir, au cours de l’assemblée plénière, à la question qui occupait tous les esprits pendant tout ce temps : la participation du CNI à l’élection présidentielle de 2018.
Le sous-commandant Galeano (alias le sous-commandant Marcos) allait longuement intervenir pour expliquer la position de l’EZLN. Un bon stratège est celui qui prend la bonne décision, c’est-à-dire l’initiative à laquelle personne ne s’attend, au bon moment. C’est quand les peuples sont écrasés par l’offensive impitoyable du monde marchand, massacrés, dépouillés une nouvelle fois, acculés à une défensive désespérée, confrontés à une indifférence sans borne de la société occidentale, qui poursuit ses propres fins en piétinant toute vie sur son passage, et la comparaison avec un troupeau d’éléphants ne serait pas appropriée, ni convenable ; c’est alors, quand les peuples sont à genoux, au pied du mur, qu’ils doivent passer à l’offensive. Et c’est ce que nous allons faire ! Et nous allons avoir beaucoup de monde avec nous, beaucoup de gens vont nous rejoindre, tous ceux qui sont laminés par ce rouleau compresseur, exsangues, et qui aspirent à une autre vie, à un autre monde.
Le Congrès national, qui se déclarera désormais assemblée permanente, va désigner un conseil indigène de gouvernement, dont les membres iront par couples, une femme, un homme, et qui se proposera de changer de fond en comble le pays. Face à la dévastation, au saccage sans nom de l’activité capitaliste, face aux meurtres en chaîne, aux fosses clandestines innombrables, à l’incompétence complice et intéressée des politiques de tout bord, les peuples indiens se proposent de prendre désormais les choses en main et de gouverner le pays, avant de gouverner le monde. Ce conseil indigène de gouvernement sera représenté symboliquement par la figure d’une femme indienne, déléguée du CNI ; elle sera candidate indépendante, participant au nom du Congrès national indigène et de l’Armée zapatiste de libération nationale au processus électoral de 2018 pour la présidence du Mexique.
Il a convaincu l’assistance. Un pari, un défi, et cela me plaît : un défi porteur de rêves, d’idéaux, de colères, de rages, de révoltes. « Soyons un tourbillon de vents dans le monde pour qu’ils nous rendent en vie nos disparus. Soyons une vague et emportons ces monstres, noyons-les ces scélérats qui nous ont fait tant de mal ! » [2] Un défi porteur de rage et de tendresse, qui balaie comme un coup de vent venu des hautes plaines mes hésitations et mes doutes. Et ce défi des zapatistes face au désastre humain que représente le système-monde capitaliste, ce défi face à un monde totalitaire, va être relayé par tous les délégués présents auprès de leurs communautés : ¡Que retiemble en sus centros la tierra ! [3]
Il s’agit maintenant de consulter les communautés indiennes et de leur proposer cette idée. Les résultats de cette consultation seront évalués au cours d’une prochaine réunion du CNI prévue pour fin décembre.
Pourtant vers cinq heures de l’après-midi, tous ont dû sortir pour aller manger et, malgré un cordon de sécurité qui nous interdisait de les rejoindre, le secret, tout relatif, des délibérations a filtré et notre curiosité a été satisfaite. Enfin nous avons fini par savoir ce qui se tramait et ce qui pouvait bien les retenir pour un débat si long et si intense ! D’ailleurs ce débat, tout particulièrement animé, n’était pas terminé et il allait reprendre après le repas pour se poursuivre jusqu’au soir. J’étais parti depuis longtemps.
Mais qu’est-ce qui pouvait bien susciter une telle discussion, pour aboutir à un accord bien fragile au départ ?
Profitant d’une ouverture des futures élections présidentielles, sous certaines conditions, à des candidats indépendants, la comandancia avait proposé aux délégués du CNI de présenter un candidat à l’élection présidentielle de 2018. Une telle proposition, prenant à contre-pied les convictions les plus affirmées concernant le rejet des partis et, plus généralement, de la politique, a dérouté bien des gens et suscité un lever de boucliers, non seulement parmi les délégués, mais aussi parmi les adhérents à la Sexta présents à ce rendez-vous. Les zapatistes seraient-ils retombés dans leur travers et leurs vieux démons, plus exactement, leur vieux démon au singulier : la politique ?
La question centrale des peuples indiens a toujours été de se faire entendre par la société mexicaine. Ne serait-ce pas là une nouvelle et, sans doute vaine, tentative pour être écouté par une société civile sourde d’oreille ? Les zapatistes prennent un énorme risque, celui de se discréditer, pour seulement faire entendre leur voix, comme si les mass media, la prensa de paga, et le monde politique dans son ensemble, n’allaient pas sauter sur l’occasion pour les calomnier et rendre du coup inaudible leur voix et inconsistant leur point de vue !
Cette initiative zapatiste n’est-elle pas ambiguë, à cheval entre le travail obscur d’une reconstruction et la publicité de cette expérience ? Entre la voie que je qualifierai de sociale et la voie politique ? Ces deux options ne sont-elles pas incompatibles ?
Alors que les peuples, face à l’offensive brutale et tous azimuts des transnationales, sont conduits à se ressaisir de ce qui les fonde comme peuples : le territoire et la terre, l’assemblée et les décisions collectives, la communauté et l’esprit de la communauté (la communalité), la relation construite avec le cosmos et leur cosmogonie, la proposition de l’EZLN ne risque-t-elle pas de contrarier et même prendre de court ce lent travail sur soi ? Il y avait de quoi être décontenancé ! Et les discussions, les incompréhensions, les doutes allaient tisser la toile de fond de ce rendez-vous national.
Après ce coup de vent, la rencontre semblait reprendre et suivre un cours plus tranquille pour parler le jour suivant (mardi) dans quatre ateliers de la répression et de la mainmise sur les ressources et les richesses des communautés ; des luttes et des résistances ; de la place, du rôle et de l’activité du CNI au cours de ces vingt années ; et, en dernière instance, de son avenir [1].
Mercredi, les zapatistes fêtaient les vingt ans du CNI à Oventik dans un accueil chaleureux et par la démonstration grandiose d’un défilé militaire qui n’en était pas un : un défilé qui ne prenait pas la ligne droite habituelle de tous les défilés militaires mais la ligne courbe et poétique des cinq caracoles, ce qui a fortement impressionné l’assistance. En plus le caldo de res était délicieux, ¡muy sabroso !
Jeudi, dernier jour, nous allions revenir, au cours de l’assemblée plénière, à la question qui occupait tous les esprits pendant tout ce temps : la participation du CNI à l’élection présidentielle de 2018.
Le sous-commandant Galeano (alias le sous-commandant Marcos) allait longuement intervenir pour expliquer la position de l’EZLN. Un bon stratège est celui qui prend la bonne décision, c’est-à-dire l’initiative à laquelle personne ne s’attend, au bon moment. C’est quand les peuples sont écrasés par l’offensive impitoyable du monde marchand, massacrés, dépouillés une nouvelle fois, acculés à une défensive désespérée, confrontés à une indifférence sans borne de la société occidentale, qui poursuit ses propres fins en piétinant toute vie sur son passage, et la comparaison avec un troupeau d’éléphants ne serait pas appropriée, ni convenable ; c’est alors, quand les peuples sont à genoux, au pied du mur, qu’ils doivent passer à l’offensive. Et c’est ce que nous allons faire ! Et nous allons avoir beaucoup de monde avec nous, beaucoup de gens vont nous rejoindre, tous ceux qui sont laminés par ce rouleau compresseur, exsangues, et qui aspirent à une autre vie, à un autre monde.
Le Congrès national, qui se déclarera désormais assemblée permanente, va désigner un conseil indigène de gouvernement, dont les membres iront par couples, une femme, un homme, et qui se proposera de changer de fond en comble le pays. Face à la dévastation, au saccage sans nom de l’activité capitaliste, face aux meurtres en chaîne, aux fosses clandestines innombrables, à l’incompétence complice et intéressée des politiques de tout bord, les peuples indiens se proposent de prendre désormais les choses en main et de gouverner le pays, avant de gouverner le monde. Ce conseil indigène de gouvernement sera représenté symboliquement par la figure d’une femme indienne, déléguée du CNI ; elle sera candidate indépendante, participant au nom du Congrès national indigène et de l’Armée zapatiste de libération nationale au processus électoral de 2018 pour la présidence du Mexique.
Il a convaincu l’assistance. Un pari, un défi, et cela me plaît : un défi porteur de rêves, d’idéaux, de colères, de rages, de révoltes. « Soyons un tourbillon de vents dans le monde pour qu’ils nous rendent en vie nos disparus. Soyons une vague et emportons ces monstres, noyons-les ces scélérats qui nous ont fait tant de mal ! » [2] Un défi porteur de rage et de tendresse, qui balaie comme un coup de vent venu des hautes plaines mes hésitations et mes doutes. Et ce défi des zapatistes face au désastre humain que représente le système-monde capitaliste, ce défi face à un monde totalitaire, va être relayé par tous les délégués présents auprès de leurs communautés : ¡Que retiemble en sus centros la tierra ! [3]
Il s’agit maintenant de consulter les communautés indiennes et de leur proposer cette idée. Les résultats de cette consultation seront évalués au cours d’une prochaine réunion du CNI prévue pour fin décembre.
Considerando que la ofensiva en contra de los pueblos no cesará sino que pretenden hacerla crecer hasta haber acabado con el último rastro de lo que somos como pueblos del campo y la ciudad, portadores de profundos descontentos que brotan también en nuevas, diversas y creativas formas de resistencias y de rebeldías es que este quinto Congreso Nacional Indígena determinó iniciar una consulta en cada uno de nuestros pueblos para desmontar desde abajo el poder que arriba nos imponen y que nos ofrece un panorama de muerte, violencia, despojo y destrucción.Considérant que l’offensive contre les peuples ne cessera pas mais qu’elle augmentera jusqu’à ce que la dernière trace de ce que nous sommes en tant que peuples porteurs d’un profond mécontentement, se métamorphosant aussi en de nouvelles, diverses et créatives formes de résistances et de rébellions, aura définitivement disparu, le cinquième Congrès national indigène a pris l’initiative d’une consultation ; cette consultation auprès de nos peuples a pour fin d’abattre d’en bas le pouvoir que ceux d’en haut nous imposent, nous apportant un panorama de mort, de violence, de pillage et de destruction.
Es el tiempo de la dignidad rebelde.
Oaxaca, le 15 octobre 2016,
Georges Lapierre
Georges Lapierre
Notes
[1] Pour le compte rendu de ces réunions, se reporter au communiqué final intitulé Que retiemble en sus centros la tierra et au nouveau site du Congrès national indigène.
[2] Déclaration d’un parent des disparus d’Ayotzinapa.
[3] « Que tremble en ses centres la terre ! », paroles de l’hymne national mexicain reprises par le CNI comme titre pour le compte rendu de ces journées.
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