Archive : El Imparcial de Oaxaca, le 3 septembre 2017 « Ensemble nous serons victorieux ; Ne vend pas mon future ; Femmes indigènes en défense de la vie. »
Par Josefa Sánchez Contreras et Adrea Manzo
Paru dans Ojarasca, complément de la Jornada, Mexique. Traduction autogérée par M et G.
La consultation des peuples indigènes, selon la convention 169 de l’OIT, a lieu dans un entrelacement de relations capitalistes extractivistes. Cette consultation se présente comme une opportunité juridique dans l’échafaudage de réformes structurales approuvées ces dernières années en matière d’hydrocarbure, d’énergie, de produits miniers et de sécurité interne. La municipalité binnizá d’Union Hidalgo avec ses 11 mille 317 ha de terres communales se trouve au centre de ce scénario. Déjà la moitié de ses terres ont été laissées à des entreprises d’aérogénérateurs.
Actuellement, le parc d’éoliennes Piedra
Larga de Demex (Développement aéro-énergétique de Mexico), filiale de
l’entreprise espagnole Renovalia Energy, est en activité, alors même
qu’EDF Énergies Nouvelles a l’intention de construire le parc
d’éoliennes « Gunaa Sicaru » sur 4 mille 400 ha de la plaine qui se
trouve au nord de l’estuaire avec une inversion de 600 millions de
dollars annuels.
Ils sont pressés de construire le parc éolien ; nous le discernons à travers la consulta qu’ils
veulent réaliser au sein de Ranchu Gubina, malgré l’absence de
conditions, physiques, politiques et économiques, permettant qu’elle
soit libre, préalable, informée et culturellement adéquate, ceci, malgré
le fait que la situation de la population binnizá, suite au séisme de
magnitude 8.2 du 7 septembre 2017, a accentué et aggravé la crise
économique et politique de la région.
Les comuneros (liste des membres actifs participants aux assemblées agraires liées aux terres communales),
les femmes de Gubiña en défense du territoire, les organisations
indépendantes et divers collectifs ont fait savoir lors de la réunion du
12 février 2018 avec le directeur général des impacts sociaux qu’il
n’existait pas de conditions pour la consultation, étant donné l’urgence
de la reconstruction des logements et les conditions de travail
difficiles.
La situation est tendue et complexe face à
l’empressement que manifestent les petits propriétaires et les
autorités municipales pour la réalisation de la consulta et l’installation du parc éolien.
Les comuneros signalent que la
procédure de consultation n’a pas respecté le caractère « préalable »
qu’elle doit avoir, dans la mesure où cela fait deux ans que EDF
s’accapare des terres communales sans le consentement de leur assemblée,
et qu’elle a consolidé et renforcé ses relations avec les petits
propriétaires, passant sous silence le caractère communal du
territoire : un mépris de plus envers les droits concernant les terres
communales et la libre détermination.
Ce désaccord entre comuneros et
petits propriétaires est grave et connaît des antécédents. En 1964, la
Résolution Présidentielle concernant la Titulation de Biens Communaux
reconnaît et attribue 68.112 ha à la municipalité zapotèque de Juchitán
de Zaragoza et ses annexes : Xadani, La Ventosa, El Espinal, Chicapa de
Castro et Unión Hidalgo.
La vie de la communauté agraire via
l’assemblée populaire n’a duré que 14 années. La dernière session s’est
déroulée en 1978 et le changement des autorités a eu lieu au sein de
conflits importants traversant le mouvement national des paysans
s’opposant au régime corporatiste du Parti Révolutionnaire
Institutionnel.
Ces années ont vu la naissance de la Coalition Ouvrière Paysanne Estudiantine de l’Isthme (COCEI). Son projet politique était lié au pouvoir municipal, alors que la question agraire avait été mise de côté.
La violence a atteint son apogée avec la disparition forcée de Victor Pineda Henestrosa, le massacre d’enfants, jeunes et paysans, dans les alentours de Juchitán, ainsi que les affrontements entre paysans et propriétaires terriens, faisant partie de la répression systématique de la population paysanne, de cette guerra sucia , de cette sale guerre, initiée par l’État mexicain.
Ces années de troubles et de conflits expliquent l’instabilité agraire actuelle avec une assemblée qui n’a pas été convoquée depuis 1978 et l’absence d’un commissaire de biens communaux.
Avec la COCEI au pouvoir municipal, la communauté agraire ne s’est pas reconstituée ce, qui a entraîné la fragmentation des terres communales, occasionnant ainsi un déferlement de petites propriétés nées des dynamiques agraires arbitraires et tyranniques.
Quarante années se sont écoulées depuis
la dernière assemblée et le dernier commissaire de biens communaux. Les
terres de Juchitán ont été démantelées et 12 parcs éoliens sont
implantés au sein d’un vaste territoire plat et venté.
A la lumière de cette situation
désavantageuse pour les peuples, l’annexe agraire que forme Unión
Hidalgo a rétabli son assemblée communale et nommé le représentant des
biens communaux, exerçant ainsi son autonomie et sa libre détermination.
Chaque mois a lieu l’assemblée ordinaire durant laquelle les
participant.e.s sont informé.e.s des litiges qui ont débuté avec la
défense du territoire :
- Un procès contre DEMEX : nous soutenons que les contrats signés avec DEMEX sont illégaux puisqu’ils concernent des terres communales et non des terres privées.
- Un litige depuis trois ans ayant pour cause un conflit territorial avec Niltepec et San Miguel Chimalapas, au bout duquel le Tribunal Unitaire Agraire de Tuxtepec, Oaxaca, a émis une sentence en faveur d’Unión Hidalgo durant le mois d’octobre dernier.
- Un autre conflit limitrophe avec San Dionisio del Mar, où le problème central se concentre sur l’existence d’une concession minière de la Coopérative La Cruz Azul (marque de ciment) s’étendant sur 2.660 ha, et qui prévoit de s’agrandir étant donné la hausse des demandes en ciment suite à la reconstruction après le séisme dévastateur de septembre 2019.
Dans ce contexte général, la consultation
n’est en fait qu’un prétexte protocolaire qui accompagne l’installation
des parcs éoliens. La fragmentation de la communauté due à la sale
guerre paraît préparer le terrain pour la mise en place des éoliennes.
Les comuneros et organisations sociales dénoncent la
non-viabilité du processus de consultation étant donné le manque de
conditions juridiques, politiques, sociales et matérielles qui
respecteraient les accords et normes nationales et internationales.
Malgré les efforts afin de reconstruire
le territoire communal, et face à l’inertie des partis politiques à la
veille des élections municipales et fédérales, l’idée de profit liée à
la violence du crime organisé et à celle du séisme, à la militarisation
aussi, convertit ce processus de consultation favorisant les intérêts
des entreprises à un pillage du territoire.
L’assemblée des comuneros se
souvient de la consultation concernant l’installation Éolicos del Sur
qui eut lieu Juchitán en 2013, et qui a violé tous ses principes et
bafoué les droits du peuple binnizá en faveur des propriétaires
terriens.
A tout cela s’ajoute la violation du
droit à la libre détermination avec l’imposition des parcs éoliens sur
des territoires communaux exploités par Demex sans aucune consultation
anticipée. Par ailleurs un permis administratif est attribué à Éolica
d’Oaxaca avec des dates précises concernant les débuts de la
construction, avant même de réaliser le processus de la consultation.
D’autres antécédents ont été dénoncés par
l’avocate Silvia Rui suite à son enquête sur les consultations
appliquées auprès de la tribu yaqui, concernant l’aqueduc Independencia,
l’hydroélectrique Agua Zarca en Honduras, le barrage Choxoy au
Guatemala, le barrage hydroélectrique Maranon au Pérou, la centrale
hydroélectrique Neltume au Chili et le barrage Belo Monte au Brésil.
Tous ces cas ont démontré que la mise en application de la consultation
des peuples indigènes est une composante de cette simulation juridique qui légitime la spoliation des territoires associés aux peuples d’Amérique Latine.
Cette enquête ne nie pas la défense du
territoire, bien au contraire. Elle trace les limites et possibilités
juridiques face à l’accumulation basée sur l’exploitation, dont la
poursuite conditionne le cadre légal de l’économie capitaliste du XXIème
siècle, convertissant en simulation juridique une pratique où devaient s’exercer les droits à l’autonomie et la libre détermination des peuples indigènes.
EDF
Énergie renouvelable et génocide dans l’isthme de Tehuantepec
Face au changement climatique, l’énergie
éolienne est perçue dans le monde comme une mesure écologique et
alternative. En d’autres termes, ce qui était sensé être une transition
écologique, a, de fait, ouvert la brèche à tout un marché de
crédits-carbone.
La crise environnementale, quasi
incontrôlable, que nous connaissons annonce non seulement la catastrophe
vers laquelle nous allons, mais elle reste aussi accrochée au
colonialisme structurel qui domine dans les pays du « premier monde » à
l’égard des pays du troisième monde, ou des pays dits « émergents ».
C’est le cas des investissements de l’entreprise EDF, dont l’état
français est actionnaire majoritaire, qui ont entraîné une violence
génocidaire contre le peuple Binnizá (Zapotèque).
Ce génocide, comme l’a dénommé Alexander
Dunlap (Université d’Oslo), s’explique à partir d’un ensemble
« structurel » où entrent en jeu les relations politiques, sociales et
culturelles sur deux niveaux, au plan international et au plan local.
Concrètement, je fais référence à la forme sous laquelle se déploie le
capital français dans l’isthme de Tehuantepec, intensifiant ainsi une
économie du crime qui trouve son reflet dans les assassinats produits
des conflits entre caciques locaux. A ce sujet, on peut affirmer de
manière catégorique que le capital français fait bien partie de la
violence structurelle qui s’exerce actuellement contre les peuples de
l’Isthme.
Vu sous cet angle, ce que l’on suppose
être une alternative à la catastrophe écologique apparaît non seulement
comme une tartuferie du capitalisme vert, mais elle se trouve aussi
profondément imbriquée dans une économie de guerre. En effet dans la
mesure où le capital français exaspère les disputes locales, il donne
des arguments à l’État mexicain pour légitimer une intervention
militaire et déployer des Bases d’Opérations Mixtes[1], qui ne sont rien
d’autres que des manœuvres pour l’occupation des routes fédérales, des
entrées et des sorties des communautés.
Voilà la tragédie de l’énergie
renouvelable, qui marche dans les traces d’un colonialisme qui bouscule
de manière drastique la vie des peuples indigènes. Cela se manifeste
concrètement par l’appropriation de leurs territoires, la privatisation
accélérée des terres communales, la division des communautés, la
modification des paysages, l’assassinat des travailleurs, le meurtre
systématique des femmes (le féminicide), la criminalisation des
comuneros, hommes ou femmes, qui prennent la défense de la vie et du
territoire, qu’ils fassent partie de l’Assemblée des peuples indigènes
de l’Isthme pour la défense de la terre et du territoire, de l’Assemblée
populaire de peuple de Juchitán ou encore de l’Assemblée des comuneros
d’Unión Hidalgo, tous faisant partie du Congrès national indigène.
Passer d’un régime de combustible fossile
à un autre fondé sur l’énergie renouvelable pour sauver l’humanité ne
devrait pas avoir pour coût la mort des peuples indiens. Pourtant c’est
bien ce qui est en train d’arriver et une fois de plus nous sommes
amenés à entrevoir la continuité de la mentalité coloniale qui consiste à
maintenir les peuples indiens en marge de la condition humaine ;
-« C’est pourquoi il est si difficile d’user du droit international et
national pour porter un coup d’arrêt aux violations des droits de
l’homme commises par le capital français -la France étant paradoxalement
« le berceau des droits de l’homme ».
Alors que trois parcs d’éoliennes d’EDF
Énergie Nouvelles sont déjà installés, l’Assemblée zapotèque des
comuneros d’Unión Hidalgo lutte sur le plan juridique et pacifiquement
contre le quatrième parc d’EDF EN appelé « Gunaa Sicarú » comprenant 96
aérogénérateurs sur 4400 ha de terres communales.
Face à l’opposition des assemblées et aux
constantes dénonciations concernant les violations des droits indigènes
et agraires, le ministère de l’énergie (SENER) s’est vu dans
l’obligation d’avoir recours à une consultation indigène. Cependant
celle-ci est pleine d’irrégularités, elle n’a pas respecté deux des
pré-réquisitions de la Convention 169 de l’OIT: la consultation doit en
effet être préalable au démarrage des travaux, et fournir toute
l’information nécessaire au libre choix. »
En faisant valoir l’histoire et le droit,
l’Assemblée des comuneros a réussi en 2018 à obtenir du premier Juge de
district de l’État d’Oaxaca la suspension de la procédure de la
consultation et, avec elle, celle de la construction du parc
d’éoliennes. Cependant, fin 2018, cette procédure a été réenclenchée, et
nous sommes sensés nous trouver actuellement dans la première phase
d’accords préalables, dans un climat détestable de menaces de mort en
direction des Comuneros.
Parmi les irrégularités de la
consultation, on retiendra le refus de la part de la SENER et de
l’Institut national des peuples indigènes (INPI) de reconnaître le
représentant des biens communaux comme relevant du Sujet collectif à
consulter alors même qu’ils signalent l’Assemblée d’Union Hidalgo comme
étant une institution représentative de la communauté indigène. Cette
ambiguïté maintenue délibérément révèle la sujétion dans laquelle se
trouve l’INPI à l’égard de la politique néolibérale menée par les
ministères de l’énergie et de l’économie ; autrement dit cet
assujettissement de l’INPI montre bien que le discours tenu par le
gouvernement sur la reconnaissance des peuples comme sujet de droit
n’est qu’un voile qui cache l’accaparement des terres et des territoires
dont souffrent encore les peuples indigènes de ce pays.
La contradiction flagrante entre
l’économie libérale menée par le nouveau gouvernement de la quatrième
transformation et la pleine reconnaissance des droits des peuples
indiens est une réalité incontournable en ces temps de consultations
simulées. Éclairés sous ce jour, les parcs d’éoliennes apparaissent non
seulement comme une hypocrisie sur le plan de l’énergie « propre », mais
ils participent en outre au génocide des peuples, qui est en train de
se dérouler sous nos yeux.
Août 2019
1 Elles sont dites mixtes car elles sont constituées par des éléments de l’armée et de la police.m
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