Pendant
le mois de novembre le Quartier Libre des Lentillères et l'espace
autogéré des Tanneries II, à Dijon, ont organisé un cycle dédié
aux luttes et les résistances mexicaines. Les
motivations de ce cycle étaient celles du partage et de la
découverte d'autres réalités, mais pas que... Les médias
hégémoniques et les campagnes de marketing nous vendent le Mexique
soit comme un pays où on peut investir sans soucis, soit comme le
paradis pour les occidentaux qui peuvent se payer un séjour dans une
zone d' « écotourisme », soit comme un pays
ultra-violent sans jamais trop approfondir sur les causes, les
contextes locaux et les intérêts extérieurs. Ils omettent les voix
des résistances, comme si on ne pouvait rien y faire dans/pour/avec
ce pays exotique et lointain. Ces résistances sont méconnues pour
beaucoup de gens. Même au Mexique, on parle peu ou mal des gens qui
en ont marre et qui se mobilisent contre cette guerre, contre les
différentes formes de néocolonialisme sauvage. On méprise souvent
ces gens qui résistent depuis des décennies ou des siècles... Ici,
ces voix-là ont trouvé un espace...
Solidarité
avec les personnes sinistrées des séismes
Le
cycle a commencé le 2 novembre, jour de la Fête des Morts au
Quartier Libre. C'était un jeudi et des bons p'tits légumes étaient
proposés sur le marché du « Jardin des maraîchères »,
un marché hebdomadaire à prix libre permettant aux personnes de se
nourrir autrement avec des produits issus d'un projet de maraîchage
local. Les gens venant remplir leurs paniers au Quartier ont pu
visiter un autel traditionnel mexicain. A cette occasion, l'altar
de muertxs a été dressé en souvenir des personnes décédées
lors des récents séismes à Oaxaca, Chiapas, Puebla, Morelos,
l'Etat de Mexico et la ville de Mexico.
Pour
la deuxième date de ce cycle, l'écrivain et réalisateur Alessi
dell’Umbria était l'invité spécial pour la projection de son
film documentaire Istmeño
: le vent de la révolte.
Cette rencontre a eu lieu au cinéma
ElDorado,
seule
salle indépendante de Dijon.
Le film nous immerge dans la lutte des peuples de l'Isthme de
Tehuantepec
contre les
méga-projets des parcs éoliens des multinationales. Dans cette
chronique de la résistance, les populations de cette région
d'Oaxaca se mobilisent pour la défense de leur territoire, pour
préserver leurs modes de vie, la pêche, l’élevage, l’agriculture
du maïs sans OGM. En discussion avec le réalisateur, nous
avons appris que la lutte des peuples de l’Isthme contre les
projets éoliens continue face à l’arrivée
d’EDF,
qui reprendrait les
travaux dans les aérogénérateurs en décembre dernier.
Alessi
dell'Umbria en a profité pour décrire la situation dans cette zone
du Mexique après les séismes en septembre dernier : plusieurs
milliers de personnes ont perdu leurs maisons et des infra-structures
publiques sont gravement endommagées. Face à la manipulation
politique des séismes,
les habitant.e.s se sont auto-organisées pour la reconstruction de
leurs communautés. A la fin de sa présentation, le réalisateur a
rendu hommage aux personnes qui ont perdu la vie lors des
tremblements de terre dans cette région – dont certaines figurent
dans le film, et une cagnotte solidaire a été lancée par les
collectifs organisateurs pour soutenir la reconstruction de l'Escuela
Preparatoria Comunitaria “José Martí” à Ixhuatán,
toujours dans la zone de l'Isthme.
«Aux
Lentillères, el florecimiento de los pueblos » i
Le
troisième rendez-vous a commencé le 12 novembre au matin et s'est
prolongé sur une semaine dans le Quartier Libre des Lentillères.
« La Niña », une camarade graffeuse franco-chilienne
venue de Grenoble, a réalisé un atelier de peinture sur la
symbolique maya dans l'art zapatiste avec des enfants et des adultes.
Elle s'était inspirée, entre autres, du travail de Beatriz Aurora.
Le dimanche soir, elle a partagé des lectures et des expériences
sur les féminismes et les luttes des peuples originaires au Mexique
et au Chili.
Pour
se réchauffer durant cette froide semaine de novembre à Dijon, une
fresque aux chaudes couleurs collectives a été peinte sur un mur à
l’entrée du Quartier. Dans
les 7 hectares occupées par les habitant.e.s et défendues par des
personnes et des mouvements solidaires, il existe
des travaux concrets de résistance et de construction d'alternatives
à la société : vie collective, maraîchage, solidarité avec
les personnes migrantes, atelier vélo, écologie, féminismes, et un
sens du partage extraordinaire. Le
projet politique des Lentillères - en pleine ville, contre
l'urbanisme dévastateur - est l'une des fissures au système qu'il
faut continuer d'entretenir, d'ouvrir et de disséminer en France,
dans l'Autre Europe et dans le monde.
«Aux
Lentillères, el florecimiento de los pueblos » est la phrase
qu'on peut lire sur cette fresque d'environ 8x3m réalisée à la
bombe de peinture et au pinceau. Elle représente le tissage des
résistances d'ici et d'ailleurs. On observe des détails sur la
cosmogonie maya : le Ciel, la Lune, le Soleil, la Terre, la pluie, un
ceiba, arbre sacré des
mayas, symbolisant le Cosmos. En plein parcours de Marichuy,
la porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement au Mexique, la
femme indigène est présente dans la fresque comme un élément
essentiel dans la défense de la vie et dans la réinvention de la
politique. Derrière les milpas travaillent
discrètement et fermement
cell.eux qui s'organisent et luttent contre le capitalisme
prédateur : « Ce sont les camarades d'ici, de la friche,
comme ça pourrait être les gens de NDDL, de Bure ou de Roybon...»ii.
Pour « La Niña » et les participant.e.s à cette
fresque, il était important de faire figurer les points communs
entre les luttes : la récupération et la défense des terres,
le rapport à la nature, l'agriculture, l'autonomie, l'organisation
et la construction de nouveaux mondes face à un seul ennemi commun.
Comme le réfère la Sexta déclaration de la Forêt Lacandone, c'est
la lutte qui nous rassemble.
Enfin,
cette oeuvre est une commémoration aux étudiants
d'Ayotzinapa portés disparus par la police depuis 2014 : 43
étoiles illuminent le ciel de cette fresque en guise de dénonciation
contre la violence d'Etat et en solidarité avec les victimes de ce
crime dans la demande et la construction de justice et de vérité.
Adieu
au capitalisme !
Un
événement important a eu lieu lors de la quatrième rencontre, tout
en étudiant l'oeuvre de Jérôme Baschet, nous avons fait nos Adieux
au capitalismeiii.
Pour ce faire, les participant.e.s ont essayé d'affiner leurs
réflexions critiques du capitalisme par la révision de quelques
concepts et théories. Ensuite, les expériences des personnes qui
côtoient et participent à la construction de nouvelles formes
d'organisation politiques et sociales, aussi bien de manière locale
que globale, ont enrichi la discussion et ont provoqué une série de
questionnements sur les différentes façons de concevoir des
alternatives en dehors du système capitaliste : la
redistribution des richesses, le travail, les réseaux... Quels
éléments de la théorie existent déjà dans nos pratiques ? Dans
l'ouverture à d'autres réalités ? Dans la mise en réseau
pour une lutte globale ?
Pour
rappel, à l'occasion de l'exposition zapatiste itinérante « pARTage
: Face
aux murs d'en haut, les brèches et la résistance d'en bas »,
une délégation était venue à Dijon en avril dernier.
Tout en découvrant le Quartier, Rocío Martínez et Jérôme Baschet
ont partagé la réalité, la lutte et les arts contre l'hydre
capitaliste des communautés mayas zapatistes du Chiapas.
Cette
délégation avait aussi comme mission celle de diffuser un appel à
contribuer à « faire tomber les murs ».
Ce
message faisait
référence à l'absurdité du mur (qui existe déjà en partie) à
la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique mais aussi à la
crise humanitaire en Méditerranée, à la situation des migrant.e.s
d'Amérique Centrale, aux réfugié.e.s africain.e.s, aux
déplacements forcés en zones d'extrême violence dans le monde
entier. Leur visite avait déjà suscité des interrogations qui ont
à la fois encouragé la réflexion-action dans laquelle s'est
inscrit le
Cycle Mexique
en lutte.
Pour
continuer, le programme invitait à la découverte d'autres régions
et d'autres luttes ! Le documentaire Cherán :
en route vers l'autonomie,
une production de la télévision communautaire TV
Cherán,
rassemble l'expérience des femmes et des hommes de Cherán K'eri
dans le Michoacán. Après 6 ans de lutte, illes nous racontent leur
façon de s'organiser contre les différentes formes de destruction
du capitalisme auxquelles illes sont confronté.e.s : la terreur, la
destruction de l'environnement et
la
corruption des partis politiques en collusion avec le crime organisé.
C'est ainsi que commence le processus d'autodétermination
politique par la lutte juridique,
la mise
en place de leur propre gouvernement
basé sur des traditions locales (us et coutumes)
et l'autodéfense citoyenne. Quand les gens de Cherán ont appris que
leur documentaire allait être projeté à Dijon, illes ont envoyé
une grande accolade rebelle, nous invitant à venir leur rendre
visite. Les gens d'ici envoient un abrazo de retour.
Pour
la dernière journée du cycle, un « brunchito »
(« tamales », « huevos a la mexicana »,
« atole » et d'autres spécialités) a été dégusté
aux Tanneries II. Après l'inauguration du « Caracolito »,
l'espace conçu pour les enfants, différentes lectures et
discussions ont eu lieu tout au long de la journée. En premier lieu,
deux voyages dans le temps et dans l'espace. Première étape du
voyage : l'invasion espagnole au xve siècle racontée sous la
Vision
des vaincusiv,
c'est-à-dire
du point de vue des indigènes, avec des détails frissonnants de la
terreur perpétrée par les « conquistadores » et la
ruine des civilisations originaires. Pour la deuxième étape, les
convié.e.s sont parti.e.s dans une visite guidée de la ville de
Mexico en octobre 1968, lors du massacre étudiant pendant La
nuit de Tlaltelolcov.
Pour
remonter la morale, sur la route de retour à travers la forêt
Lacandone, plusieurs voix ont récité des Contes
rebelles du Sous-commandant Marcosvi.
Pour
finir la journée, deux présentations. A 3 ans et 2 mois du massacre
et la disparition forcée des étudiants de l'Ecole Normale Rurale
d'Ayotzinapa, la première de ces présentations avait pour but celui
de rappeler que la lutte et l'exigence de justice et de vérité
reste toujours d'actualité. Face à la banalisation de la violence,
es mensonges des médias, les irrégularités
des enquêtes officielles et la
désinformation, le mouvement social, présent au niveau
international, persiste en soutien aux familles des étudiants
disparus et assassinés ainsi qu'aux étudiants ayant survécu au
massacre. Le message : la pression et la solidarité
internationales ne doivent pas cesser.
Pour
la présentation de clôture, nous avons eu des
nouvelles toutes fraîches de l'Isthme de Tehuantepec.
Un camarade ayant passé un mois dans la région détruite par le
séisme a fait un compte-rendu de son expérience : la rencontre
avec la jeunesse, la construction de l'autonomie communautaire, le
sens de la
comunalidad...
Ce
cycle a ouvert des moments d'échange sur des modes d’organisation
politique et sociale qui empêchent l'avancée de l'hydre
capitaliste. Des milliers de personnes résistent de l'autre côté
de l'océan, à l'autre bout du monde...Et leurs luttes résonnent
ici. Elles suscitent des questionnements en terme de solidarité et
d'apprentissage : Faudrait-il partir là-bas pour les connaître
de plus près ? Quels moyens de nous soutenir les uns les autres
depuis nos géographies ? Comment sortir des temps de l'urgence
imposés d'en haut pour bâtir des choses ensemble ? Pour l'instant,
il semble essentiel d'aller à la rencontre de l'autre, de se
reconnaître dans l'autre, de prendre les fils de différentes
couleurs pour le tissage et le métissage des luttes qui perdurent
dans le temps.
Un
grand merci à :
Alessi
dell’Umbria
L’équipe
du Cinéma El Dorado
La
Niña
Les
différents collectifs du Quartier des Lentillères et des Tanneries
II
Toutes
les personnes ayant participé au cycle et contribué à la cagnotte
pour la reconstruction du lycée autonome
Preparatoria Comunitaria José Martí.
i
« Es
la hora del florecimiento de los pueblos » :
« L’heure
de la floraison des peuples a sonné »
est la convocation à soutenir l'initiative de l'EZLN et du Congrès
National Indigène (CNI) dans la constitution du Conseil Indigène
de Gouvernement (CIG) et l'enregistrement de celui-ci pour
participer aux élections présidentielles de 2018. La porte-parole
du CIG, María de Jesús Patricio Martínez, connue sous le nom de
Marichuy, une
femme indigène de la région nahua, ne cherche pas exactement qu'à
devenir candidate indépendante pendant cette campagne : « Ceci
est une étape supplémentaire sur notre chemin pour nous retrouver
avec ceux que nous voulons écouter et pour les appeler à
s’organiser » « Il
est temps d’unir enfin les forces… de faire bouger le monde…
de montrer que nous sommes capables de soulever nos peuples »
Plus
d'infos sur le CIG et Marichuy :
ii La
Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes (ZAD NDDL) est en
résistance contre un projet d'aéroport, pour la défense de
l'écosystème, des terres agricoles et d'un mode de vie. Dossier
Notre-Dame-des-Landes de Reporterre.
Bure
: un groupe de militants, habitants et paysans sont en résistance
antinucléaire contre le projet de stockage de déchets radioactifs
en grande quantité dans le sous-sol de ce village. Dossier
Déchets nucléaires de Reporterre
Roybon
: dans la fôret de Chambaran, il existe une opposition au projet de
Center Parcs qui prévoit un “complexe touristique de nature
artificielle énergivore”. Dossier
Center Parcs et Roybon de Reporterre.
ivOeuvres
et lectures conseillées : Nathan Wachtel, (1992), La
Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête
espagnole (1530-1570), Gallimard,
Paris. Première parution en 1971 ; Miguel
León-Portilla, La
Visión de los vencidos. Relaciones indígenas de la conquista,
UNAM,
Mexico (Edition originale : 1959) ; Baudot, G. et Todorov T.
(2009), La
conquête, récits aztèques,
Éd. du Seuil.
vElena
Poniatowska, La Nuit de Tlatelolco. Histoire orale d’un
massacre d’État, Toulouse : Éditions Collectif des métiers
de l’édition, coll. «À l’ombre du maguey», 2014, p. 303.
Édition originale : La Noche de Tlatelolco. Testimonios de
historia oral, Mexico, Ediciones Era, 1971.
viLivre
en français: Collectif Grains de sable (coord.), (2014) Contes
rebelles, Récits du sous-commandant Marcos, Le Muscadier,
France ; Livre en espagnol: Red de Solidaridad con Chiapas de Buenos
Aires (coord.), (2009) Los Otros Cuentos, relatos del
Subcomandante Marcos, Artes
Gráficas Chilavert, Buenos Aires, Argentina.
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