domingo, 1 de septiembre de 2019

EZLN: "Une possible Réalité"

Adagio-Allegro Molto en mi mineur : Une possible réalité.
(pris du carnet de notes du Chat-Chien)

« La folie c’est comme la gravité, tu sais ? Un simple petit coup de pouce suffit » 
Le Joker dans le rôle de Heath Ledger (ou était-ce le contraire ?)

Personne ne peut dire avec certitude comment tout a commencé. Même les Tiers Compas, qui se sont chargés de la reconstitution des faits, ne peuvent préciser exactement le moment et le fait qui ont enclenché ce que je vais vous raconter maintenant. Selon une version, c’est le SupGaleano qui a tout provoqué. Selon d’autres, le SupGaleano n’a fait que commencer, et c’est le sous-commandant insurgé Moises qui a pris le relais.








Il se trouve que le SupGaleano, dans un de ses textes, a fait référence au fait qu’en février 2011, la journaliste Carmen Aristegui avait demandé, dans une des émissions de son programme, si le titulaire de l’exécutif de l’époque, Felipe Calderón Hinojosa, souffrait d’alcoolisme, et avait ajouté que la nation devrait être informée de l’état de santé de l’exécutif fédéral. En guise de représailles, la journaliste fut congédiée. Jusque là, il n’y avait pas de problème. Cela s’est passé ainsi et on peut s’en assurer en consultant la presse.




Ça s’est envenimé quand le SupGalenao a ajouté quelque chose comme : « La folie, comme l’a signalé un connaisseur incompris de l’âme humaine, c’est comme la gravité : un simple petit coup de pouce suffit. Détenir le Pouvoir, c’est cet irrésistible petit coup de pouce que là-haut tous désirent et cela commence par une simple phrase : “Ici, c’est moi qui commande”. Si vous espérez que quelqu’un dans les médias pose des questions à propos de la santé mentale de l’actuel exécutif fédéral (ce qu’il en est de chacun, cela ne veut pas dire : “Il est fou”), vous pouvez attendre : personne ne s'y risquera. »


Le jour suivant, dans ce phare de lumière quasi divine que sont les conférences de presse matinales du probable dément, une personne de la presse a osé lui demander ce qu’il en pensait. L’interpellé a gardé le silence, il a fait quelques gestes faciaux montrant son mécontentement et considéré comme terminée la revue de presse sans avoir terminé d’expliquer pourquoi l’obéissance aux mandats de Donald Trump avait apporté de grands bénéfices au pays. Il n’a jamais clarifié à quel pays il faisait référence.


Selon le chargé de Communication sociale de la présidence, le chef (c’est comme ça qu’il a dit) s’était senti indisposé à cause d’une probable congestion d’estomac, due à un aliment périmé.


Le lendemain matin, bien remis, le chef suprême (c’est ainsi que le présenta le chargé de Communication sociale), a dit que, pour lui, ceux qui se présentaient comme de la gauche radicale n’étaient que des radicaux de droite qui se cachaient derrière un passe-montagne et qu’ils ne maintenaient leur mouvement que dans 4 municipalités de l’État sud-oriental du Chiapas, et cela grâce à l’appui économique qu’ils recevaient des Illuminati ; et que « le Marcos » (c’est comme ça qu’il a dit) en réalité était en France. À Paris pour être plus précis, selon les informations qu’il avait.


Le SupGaleano a répondu dans un texte où il décrivait la place Pigalle avec une minutie impossible même pour le guide Michelin, signalait le paradoxe de la présence du péché charnel si proche du Sacré-Cœur qui couronne Montmartre et s’excusait de ne pas donner plus d’informations car il se consacrait au « plus vieux métier du monde » (c’est comme ça qu’il a dit) et devait prendre soin de la clientèle. Quelques-uns disent que le Sup avait joint en annexe une photo où ses belles jambes bien tournées étaient mises en valeur. Sur les réseaux sociaux de la 4T, on prétendait qu’elles avaient été photoshopées et que « le face de chaussette » (c’est ce qu’ils ont dit) n’était pas si bien – bien que plus d’une, un·e, garda l’image dans le dossier portant l’avertissement « Ne pas ouvrir au cas où je meurs ».




Lors de la conférence de presse suivante, le leader suprême se targua d’une légère touche d’autocritique. Il précisa qu’il (comprendre, le Sup) n’était pas à Paris , mais en Grèce, selon ses informations. Dans l’île de Lesbos pour être plus précis. Le SupGaleano répondit dans un autre texte où il décrivait les conditions dans lesquelles les migrants illégaux se rendaient en Europe… fuyant les guerres encouragées par les gouvernements européens.


Un jour et une correction de plus dans la conférence de presse matinale, le « sous-comédien » (c’est ainsi qu’a dit le leader) en réalité se trouvait, selon ses informations, en Australie. À Sidney, sur la plage Lady Bay Beach, pour être plus précis.


Le Sup répondit avec un poème ringard, supposé de lui, qui disait en partie : l’ombre qui dans la mer se dilue /comme si en lumière elle mourait/lointaines et humides les insomnies/présente l’espérance sèche… accompagné d'une photo que la décence et les bonnes manières m’empêchent de décrire. Je peux seulement dire que le Sup portait le passe-montagne, sa casquette et sa pipe et c’est tout (Vous me comprenez ? Oh, bien).

Cette après-midi-là, le suprême éclata et twitta que sa patience avait des limites (comprendre, celle du suprême), et qu’il avait ce qu’il fallait pour mettre de l’ordre au « Chapas » (c’est ainsi qu’il l’écrivit) et en finir une fois pour toutes avec « les fanfaronnades de la face d’étamine » (c’est comme ça qu’il a dit). À NOTIMEX, on corrigea « au Chiapas » et, sur les réseaux sociaux, quelqu’un twitta timidement : « Mais… il n’était pas en France-Grèce-Australie ? »


Dans l’émission matinale, l’illuminé ne se retint plus : il dit que lui, le vrai, avait la mission sacrée de préserver la marche irrépressible de la 4T et que « toutes les possibilités pour y arriver, je les ai dans ma coiffeuse. » À NOTIMEX, on corrigea et on transcrivit « dans mon secrétaire ».


C’est là qu’on dit que le sous-commandant Moises intervint. Il écrivit un bref communiqué qui disait seulement : « Vous n’êtes qu’une pierre de plus dans le mur. Nous, une des nombreuses massues. »


Le chef suprême, leader maximus, celui qu’enfin nous attendions (c’est ainsi que dit le présentateur de la revue de presse, bien qu’à NOTIMEX on ajouta « nous, hommes et femmes »), déclara que rien ne l’ébranlait pour mettre de l’ordre dans sa république (NOTIMEX corrigea « dans notre république »).


Le sous-commandant insurgé Moises répondit : « Vous n’êtes qu’un gros crachat dans la mer de l‘histoire. Nous sommes la mer de nos rêves. Vous n’êtes que poussière dans le vent. Ik O’tik (nous sommes le vent). »

Tous coïncident pour dire que c’est cela qui déclencha tout. Le suprême pouvait être plus ou moins tolérant, mais qu’on questionne son rôle dans l’Histoire (avec une majuscule) du monde mondial, c’était aller trop loin…

La Loi LEI


Avec une majorité écrasante de la 4T – à laquelle s’étaient associés, avec une ferveur patriotique, le PVEM, le PAN, le PRI et d’autres mini partis, la Loi de l’existence indésirée (« LEI » en version abrégée) a donc été approuvée, via fast track. Bien que l’exécutif fédéral ait envoyé le projet à peine quelques minutes avant, les législateurs ont immédiatement compris que le loi LEI était un outil juridique indispensable, une lumière au milieu de l’obscurité, un guide pour mener le pays (sans jamais préciser à quel pays ils faisaient référence) vers un avenir lumineux. Ergo, on l'approuva au milieu des acclamations.

Dans un des paragraphes, et comme conséquence logique de la loi qui interdisait que quelqu’un gagne plus que l’exécutif fédéral, on interdisait expressément d’être plus intelligent que le suprême. Tout individu qui aurait un coefficient intellectuel supérieur à celui du leader aimé serait enfermé dans une prison ou expulsé du pays (il ne fut jamais précisé à quel pays se référait la loi LEI). On déclara alors l’obligation pour toute la population de présenter un examen d’intelligence pour détecter les rebelles. Le « coefficient intellectuel » ne devait pas dépasser celui de l’aimé, admiré et jamais mesuré leader, raison pour laquelle 99,999% de la population serait restée au niveau de l’« existence indésirée » à moins que…


La bande, c’est la bande et le quartier, c’est le quartier. C’est ainsi que, par Internet et auprès des vendeurs ambulants, on pouvait acheter une pilule qui inhibait les processus cognitifs. « Ne prenez pas de risque, choisissez la sécurité. Pas cher, pas cher, et tout légal, mon bon », lisait-on ou écoutait-on sur les pubs. Certains même arrivèrent à obtenir des copies de l’examen pour les vendre, avec un supplément si on voulait avoir aussi les réponses incorrectes qui assuraient le patrimoine. On offrit en plus des cours propédeutiques en vue de l’examen, où on enseignait comment obtenir les moins bons résultats.


À l’exception d’une petite fille de 6 ans, qui vomit la pastille, tous purent témoigner d’une intelligence inférieure à celle du suprême. La petite fille fut condamnée à l’exil ainsi que sa famille, pour qu’on ne dise pas que le suprême séparait les parents des enfants. NOTIMEX ajouta « garçons et filles ».


Dans un autre paragraphe, on interdisait l’athéisme, et l’agnosticisme était toléré à condition de ne pas le manifester par « la pensée, la parole ou l’action ». La population athée dut passer à la clandestinité, mais pas pour longtemps : quelqu’un prétexta que l’athéisme, comme n’importe quelle autre religion, pouvait être fanatique. L’Institut des religions acceptables (PRI selon son abréviation en anglais), incorpora donc l’athéisme au rang des religions, bien que bien en-dessous des autres religions (comme la Lumière du Monde, etc.) et bien sûr loin de l’Amloisme, cet heureux syncrétisme entre plusieurs religions et Alfonso Reyes, qui n’était pas déclarée « religion officielle » juste par sainte pudeur et virginale modestie.


Ce qui déclencha tout, selon certains, ce fut le paragraphe de la loi LEI qui faisait spécifiquement référence à la population appartenant aux dits peuples originaires, mais qui étaient connus communément comme « indigènes », « indiens », « groupes d'indiens », etc.


La loi obligeait ceux qui parlaient des langues étranges (c’est ainsi que c’était dit) à s’enregistrer et à se présenter dans un camp de concentration, de manière à ne pas offenser par leur façon de voir le reste de la société et à faciliter la remise des aumônes officielles. Dans le camp de concentration, selon une mesure de précaution louable, on avait placé des succursales des magasins Elektra, incluant des caisses de la banque Azteca, de façon à ce que le « client » puisse recevoir l’« aide » et la dépenser au même endroit. Le suprême respecterait ainsi une des ses promesses fondatrices : produire des consommateurs d’articles offerts généreusement aux pauvres par Salinas Pliego. Les mauvaises langues disaient que ces établissements étaient en fait la version 4T des magasins à crédit des fincas et fabriques de l‘ancien régime.


Comme il fallait s’y attendre, les peuples zapatistes s’y refusèrent et firent tout ce qui était en leur pouvoir pour offenser le respectable. Selon certaines versions, c’est ici que le sous-commandant insurgé Moises répondit par une citation du Jacinto Canek, d’Ermilo Abreu Gómez :




« Les prophéties de Nahua Pech, un des cinq prophètes des temps anciens, se réalisent à présent. Les blancs ne se contenteront pas de ce qu’ils ont, ni de ce qu’ils ont gagné dans la guerre.


Ils voudront aussi la misère de notre nourriture et la misère de nos maisons.


Ils élèveront leur haine contre nous


et nous obligeront à nous réfugier dans les montagnes et les lieux éloignés,


Alors nous irons, comme les fourmis, derrière la vermine et mangerons de mauvaises choses : des racines, des freux, des corbeaux, des rats et des grillons.


Et la pourriture de cette nourriture remplira nos cœurs de rancœur


et la guerre viendra. »


Un intellectuel organique de la 4T écrivit un long essai dans le supplément qu’il dirige, dénonçant l’opposition zapatiste aux desseins divins comme un nouveau calcul stratégique du « SupMarcos » (il l'écrivit comme ça). Il craignait que le timing n’affecte la marche inexorable, triomphante et irrépressible de la 4T ; et que l’euzedelene ne perde une grande opportunité parce que, pour la première fois, toutes « les ethnies et leurs dialectes » (c’est ce qu’il écrivit) allaient se réunir dans le même endroit. Laura Bozzo écrivit dans une de ses colonnes que la réponse du sous-commandant insurgé Moises était une nouvelle preuve du sectarisme de l’EZLN, que le zapatisme avait tort de s’isoler des « pauvres de la terre » (c’est ce qu’elle a dit), et que le CNI et le CIG devaient, comme mouvement tactique, accepter l’offre généreuse du gouvernement et en profiter pour étudier là ses articles… et obéir à ce qui s’y ordonnait.


Sur les réseaux sociaux pro 4T, on créa le hashtag #foutusindiensfilsdesalinas, sans pour autant jamais préciser si on se référait au méchant Salinas (Salinas de Gortari, qui se planquait déjà sous les jupes Chanel de Rosario Robles sans cacher qu’il était en fuite) ou au gentil Salinas (Salinas Pliego, qui se couvrait de billets avec les cartes de « Semant la vie »).


Le fait, ou la chose, c’est selon, est que la Garde nationale entra en jeu pour « implanter l’ordre et le progrès qui avaient été défiés par les transgresseurs de la loi ». NOTIMEX ajouta « et par les transgresseuses de la loi ».



Sur les réseaux sociaux, les usagers sympathisants de la 4T s’invitèrent les uns les autres à participer à la campagne patriotique. Avec l’ingénieux hashtag #zapatisteshorsdemavue (supposément conçu par un infuencer qui produit des séries télévisées), on appelait à monter dans toutes sortes de véhicules pour se rendre au Chiapas et à s’y enrôler temporairement dans la toujours glorieuse, héroïque et puissante Garde nationale. Mais personne n’arriva parce que, selon ce qu’écrivit un autre influencer : « C'est une chose de devoir sortir dans la rue pour acheter une recharge de téléphone portable, c'en est une autre très différente de voyager si loin. CQFD ». Le message obtint 3 millions de likes.

Portant fièrement les armes que lui avait données l’armée nord-américaine (le commandement du Commando central de l’opération s’était pourtant plaint auprès de l’ambassade de leur vétusté. Mais l’ambassadeur lui avait répondu : « Mais si c'est pour vous battre contre quelques fuckin indiens »), la resplendissante Garde nationale – qui jusqu’à là ne s’était consacrée qu’à escroquer des migrants et à escorter les camions de Sabritas, Bimbo et du lait LALA – fit son entrée triomphale dans les « bastions zapatistes ». NOTIMEX corrigea : « dans les planques des pécheurs » ; et recorrigea : « et des pécheresses ».

Dans son avancée, la Garde nationale ne rencontrait que de la fumée. Les peuples zapatistes se repliaient dans les montagnes après avoir mis le feu à leurs cahutes et à leurs récoltes.

Celui qui était aussi connu comme le « Niño Canún des écologistes », célèbre pour son article « Le déclin de la décence académique et la splendeur de la flagornerie » – celui-là même qui lui avait permis d’entrer au cabinet – écrivit un article dénonçant l’attentat à l’environnement provoqué par l’obstination zapatiste. « Il est intolérable, écrivit-il, que nos vaillants gardes doivent respirer cette fumée et voir tachés de suie leurs armes et leurs uniformes resplendissants. »


Le suprême ordonna de congeler tous les comptes bancaires des ONG qui défendaient les droits humains et promouvaient des projets parce que, dit-il, « en réalité, ce sont les têtes de pont des Illuminati ».


Le Centre des droits humains Fray Bartolomé de las Casas ne ferma pas ses portes. Des communautés alentours descendirent hommes, femmes et enfants, y compris d'organisations et de populations rivales, apportant avec eux poules, tortillas, maïs, haricots, légumes, fruits et même un peu de posh caché dans les poils d'un mouton, mais aussi des couvertures, chemises, naguas et pantalons si colorés qu'ils enivraient la vue. « Les fraybas » comme on les appelle dans les communautés du Chiapas, ne souffrirent ni de la faim ni du froid, à tel point qu'ils partagèrent même avec d'autres ONG. Seulement, oui, tou·te·s prirent du poids.


La Sexta et les réseaux ne restèrent pas sans rien faire. Ils formèrent des brigades, des commandos et des bataillons pour aller se battre aux côtés des zapatistes. Mais, à mesure qu'ils descendaient de leurs véhicules déglingués, ils étaient arrêtés et emmenés dans un camp de concentration qu'il fallut aménager en vitesse dans le stade de foot « Víctor Manuel Reyna », dans la capitale chiapanèque.


Comme aux temps passés, on trouvait là, côte-à-côte, des communistes, des anarchistes et d'autres qui ne sont ni l'un ni l'autre. Il y eut des éraflures et des insultes, et la situation aurait pu s'aggraver sans la présence des otroas, qui calmèrent les esprits. Comme acte de rébellion, un championnat de foot fut organisé (bien que ce jeu du diable ait été interdit et que seul le baseball fût autorisé). La coupe (qui en réalité était un verre Unicel décoré de noms de couleurs dans toutes les langues et contenant un fond de café) fut remportée par l'équipe des otroas (ce qui aurait beaucoup plu au disparu et au défunt en voie de l'être). Les gardes nationaux qui surveillaient les marginaux se moquèrent : « Ouh, ce sont les petites putes et les garçons manqués qui ont gagné. » Les susdit·e·s lancèrent alors aux gardes le défi de jouer une partie contre euxelles. Les gardes acceptèrent immédiatement. Personne ne sait comment, mais, au début de la rencontre, les buts avaient disparu, ils avaient été démontés (par les autres prisonniers, supposons-nous) et « les petites putes et les garçons manqués » s'alignèrent, tenant chacun·e dans les mains un morceau de tube. L'arbitre prit la fuite, suivi des gardes, et ils oublièrent de fermer le portail. Tous, toutes et tou·te·s sortirent. On les cherche encore.


La globalisation aidant, l'affaire s'étendit à d'autres régions de la planète. On vit apparaître des zapatistes de toutes les couleurs, de tous les genres et parlant des langues différentes. Les honorables ambassades de la 4T à divers endroits du monde furent assiégées et les forces de police de chaque pays durent intervenir dans le cadre de l'opération internationale appelée « Fuck the zapatistas now »…


-*-

69 fois 3 et 69 fois 6.



Le lendemain de l'entrée épique de la Garde nationale, la nouvelle suivante apparut : « Le sous-commandant Moises et le SupGaleano ont été abattus » (NOTIMEX corrigea « et le SupMarcos-Galeano » ), accompagnée d'une photo montrant le chapeau de Moises, et la casquette et la pipe du susdit Marcos-Galeano dans une flaque de ce qui était supposément du sang.





Le système étant ce qu'il est, des offres apparurent rapidement pour permettre d'acquérir le chapeau, la casquette et la pipe, et de prendre un selfie avec, sur le sol de son jardin ou dans le parc le plus proche, quoique des pots de fleurs auraient tout aussi bien pu remplir ce but. Le kit Premium comprenait aussi une bouteille d'un liquide rouge épais. « On dirait du vrai sang ! », indiquait la pub.





Le truc c'est que tout le monde prétendit avoir « encaissé ces trophées » (c'est comme ça qu'ils disaient) et ce dans les coins les plus reculés. La même chose se disait aussi bien à La Realidad zapatiste, qu'à La Garrucha, qu'à Oventik, à Roberto Barrios, à Morelia. Mais ça c'était seulement tout au début. Rapidement apparurent ceux qui prétendirent avoir abattu les deux zapatistes dans d'autres villes. Quelques heures plus tard, dans d'autres parties du monde. Même Donald Trump twitta qu'il les avait personnellement éliminés quand ils tentaient de traverser la frontière à El Paso, Texas. Poutine ne se laissa pas oublier et prétendit la même chose mais en Tchétchénie. Daniel Ortega déclara que ça s'était passé dans le quartier de Monimbó et que « Chayito » (c'est comme ça qu'il a dit) leur avait donné le coup de grâce.





Un journaliste de la presse fafa (un terme conçu dans l'esprit ingénieux du suprême, pour se référer à la presse qui ne lui était pas totalement acquise, ou plutôt qui n'était ni fan ni facho – les journalistes de la presse fils à papa étant à ce moment-là déjà en exil, en prison ou au cimetière), commenta ainsi : « J'ai recensé les morts “confirmées” de Marcos et Moises, et, en plus du fait que les lieux sont à des kilomètres les uns des autres et qu'elles ont été simultanées, il y a quelque chose d'étrange. » « Et quoi donc ? », le questionna l'autre. « Bin, qu'il y en ait 69 », répondit le premier. « Et ? », insista l'autre. Et le premier : « Et bien, ce chiffre a déjà été utilisé par le sous-commandant pour un jeu de mots dans ses communiqués. J'ai bien l'impression que ces deux-là doivent être morts, mais de rire. » « Tais-toi », lui ordonna l'autre, « ne dis rien parce que tu pourrais bien perdre plus qu'un emploi ».





Dans la ville de Mexico, capitale de la 4T, un historien terminait son dernier livre par ces mots : « La preuve que la quatrième Transformation fonctionne, c'est que, comme les trois qui l'ont précédée, elle se construit sur la défaite des indigènes. » Et dans un éclair de génie, il ajouta : « Me canso ganso. ». Fou de joie, il courut voir son responsable, un bureaucrate progressiste, un énervé de l'édition officielle et pro gouvernementale, pour voir s'il publierait son livre. Le fonctionnaire lui dit que, bien sûr, il n'avait même pas besoin d'être revu et corrigé, il pouvait être envoyé directement à l'impression, si ce n'était pas pour ça, à quoi pouvaient bien servir les collègues. Il ajouta : « Dis-moi, toi qui t'y connais pour ce genre de choses, tu ne pourrais pas me recommander un psychiatre ? C'est que j'ai reçu des appels d'un certain Elías Contreras, il parle une langue bizarre et je n'arrive à comprendre que le mot “trou du cul”, qu'il répète sans arrêt. » L'éminent historien officiel de la 4T lui répondit de ne pas s'inquiéter, qu'il s'agissait sûrement d'un robot, car au gouvernement, on avait déjà repéré des « call centers » clandestins. Ils opéraient depuis les satellites des Illuminatis et étaient possédés par les conservateurs qui essayaient ainsi de gêner le fonctionnement impeccable de la machine impeccable de l'impeccable 4T.





Au même moment, dans une zone résidentielle de la ville de Palenque (Chiapas), le Grand Leader et Dirigeant Maximus de la Nation, Conducteur visionnaire du véhicule de l'Histoire, Camarade bien-aimé, Illustre Guide, Chevalier vengeur des cavaliers du Zodiac, Père de Rhaegal, Protagoniste des Sept Histoires, Brisefer, Roi des Premiers Hommes, Seigneur des Sept Royaumes et Protecteur de la Nation (personne n'osait encore l'appeler par son nom), au moment donc où il se rechargeait d'énergie cosmique, reçut la nouvelle de la bouche du chargé de Communication sociale de la présidence : « Ils ont enfin été tués, les deux, le territoire qui était aux mains des anti-loi LEI a été conquis. » L'historique leader suprême et immense, nerveux, prit son portable de modèle dullphone (un ingénieux gadget conçu spécialement pour ne pas offenser le niveau intellectuel de son propriétaire) et, après un regard lumineux lancé vers le ciel, twitta : « Les armes glorieuses se sont couvertes de Nation. »





Il y eut d'abord un moment de confusion sur les réseaux sociaux. À l'agence gouvernementale des nouvelles, NOTIMEX, le twitt original avait été « amélioré » et retwitté « Les armes nationales se sont couvertes de gloire » ; mais les captures d'écran étant une création des ennemis du changement véritable, l'un de ces esprits béats et privilégiés, qui en toute circonstance donnent de l'eau au moulin des vertus de l'être suprême, fit ce qu'il convient de faire, en toute logique, dans de tels cas : l'invincible et merveilleux dirigeant avait en fait réussi en même temps, à transformer l'histoire et à revisiter la langue. Le twitt original du grand berger n'était pas une erreur, mais plutôt une illumination qui apportait à la sémantique traditionnelle quelque chose d'éloigné de la norme et la révolutionnait. À l'unisson, les réseaux sociaux explosèrent en gazouillis et louanges.





Bien qu'il ne dura pas longtemps non plus, le hashtag #untienvautmieuxquedeuxtulauras remplaça le patriotique #ilsselasontprisedoubleenfoirésdezapatistes comme trending topic national, et la vie suivit son cours, quoique pas aussi rapidement que la destruction et la mort.





Le Suprême avait pour habitude de passer les vacances dans sa finca de Palenque. Là-bas, lui et sa famille utilisaient le train dont il avait ordonné la construction et qui lui permettait de se rendre sur sa terre natale ou à la plage, et, par la même occasion, de distribuer par la fenêtre bénédictions et cartes de la Banque Aztèque. Sur les réseaux, les influencers de la 4T dissipèrent le malentendu en temps voulu, alléguant qu'il n'y avait rien de mal à ça, que, par exemple, même Homero Adams et Sheldon Cooper aimaient jouer avec des trains.





Personne d'autre n'utilisa ce train. Les proches du cercle intime (à l'exception de l'éco), dirent que c'était pour des raisons liées à la sécurité du grand dirigeant. Les mauvaises langues arguèrent plutôt que ce train était un désastre depuis la première fois qu'il avait même été évoqué.





Alors que la nouvelle de la déroute zapatiste était encore récente et se diffusait à l'échelle nationale, Alfonso Romo demanda à parler avec le Suprême. Il lui exposa un grave problème : LE PARTI (comme ça, en majuscules) courait le risque de se fracturer à la faveur de la prochaine élection présidentielle. Il en serait ainsi parce que Claudia et Ricardo voudraient être élus, en plus du fait que d'autres menaçaient de s'incruster. La situation était si grave qu'elle requérait un mouvement audacieux. Le suprême attendit la suite avec impatience. Alfonso Romo, aveuglé par la lumière qui émanait du suprême, plissa les yeux et osa : « La réélection ». « Impensable », répondit rapidement le Suprême, « ce serait violer la constitution ». Romo se prosterna et s'excusa : « C'était juste une idée. » Le Suprême médita un instant et dit : « Mais si la constitution est réformée, mon devoir est de me conformer à la loi. » Un sourire éclaira alors la face de Romo et il dit : « Ok chef, moi, je me charge de ça. » « Mais en faisant bien attention », l'interrompit le suprême. « Essaye d'abord avec un intérim ou une période intermédiaire. Quelque chose comme “Suffrage effectif, pas de réélection immédiate.” Si tu vois que ça passe sans problème, alors essaye avec quelque chose comme “Suffrage effectif, pas de réélection plus de 7 fois d'affilée” ».





La réalité, qui n'avait embarrassé ni la morale d'Alfonso Reyes, ni les conférences de presse matinales, continua à réclamer son dû aux habitants du pays comme aux étrangers. La tempête redoubla de force.





Dans ce qui était jadis le « territoire zapatiste », l'ambiance n'était pas au beau fixe pour les forces d'occupation. Après quelques jours seulement, les rumeurs, les légendes macabres, commencèrent à se propager. Il se disait que, pendant la nuit, apparaissait Xpakinté, une femme vêtue d'une longue robe blanche transparente, à la peau et aux yeux clairs ; elle envoûtait les gardiens et les poussait à s'entretuer (le dernier se tira une balle dans le ventre). Des êtres indéfinis, vêtus seulement d'un grand sombrero, faisaient exploser les machines et les rendaient inutilisables. À l'aube, une rumeur lointaine mais intelligible répétait: « Là, il vient ; là, il vient ; qui vient ? Là, il vient » sur un rythme qui ressemblait à s'y méprendre à celui de la chanson « La Carencia » des musiciens panthéonés, ce qui rendait fous les avant-postes de la Garde nationale, et les ingénieurs chargés de la conception et de la reconstruction de ce qu'ils avaient détruit.





Les casernes et les campements de la Garde nationale, comme d'ailleurs les bureaux des grands consortiums de constructeurs, se vidèrent sans laisser de trace. Jamais on ne sut à combien s'élevèrent les désertions. Et, alors qu'un nouveau scandale agitait la réalité des réseaux sociaux et des conférences de presse matinales et de tout le reste, dans le monde du dehors, les mythiques montagnes de Sud-est mexicain retombèrent dans l'oubli.





Ce qui suivit fut documenté par les médias libres, alternatifs, autonomes ou quel que soit leur nom. D'abord isolés, puis recouvrant finalement les murs et les palissades des quartiers marginaux des villes, et les bâtiments en bois des communautés rurales, apparurent des graffitis anonymes tracés avec des lettres multicolores, qui demandaient : « Pourquoi êtes-vous si sérieux ? »





Ainsi eut lieu la troisième mort du sous-commandant insurgé Moises, et la sixième de celui qui fut le SupMarcos ou SupGaleano ou le nom qu'on voudra lui donner. Ils furent tués soixante-neuf fois ce jour-là.





Les peuples zapatistes descendirent des montagnes. Personne ne comprit comment ils avaient survécu dans ces conditions, bien que la rumeur dît qu'ils reçurent de la nourriture et des vêtements des communautés du CNI. Et, évidemment, des instruments de musique. En revenant sur leurs terres, les zapatistes firent ce qu'ils font toujours dans ces cas-là : ils organisèrent un bal et, sur les notes des marimbas, claviers, batteries, guitares et violons, les Xpatinké et les porteurs de sombrero dansèrent au son de « La fille au ruban coloré », mais avec une nouvelle tonalité comme s'il s'agissait du message d'un nouveau monde à l'autre qui, lentement et quasiment sans faire de bruit, là-bas en haut, était en train de mourir.





Et c'est ainsi que les morts de toujours moururent une nouvelle fois, mais cette fois-ci pour vivre.





-*-

Tout ça est un simple exercice de fiction. Ça ne va pas avoir lieu… Ou peut-être que si ?

(À suivre…)

Depuis un coin des montagnes du Sud-est mexicain.
Wouah-miaou,
Le chien-chat donnant des coups de griffe à la lune (quelqu'un devrait lui dire qu'il ne va pas la convaincre de cette manière… Ou peut-être que si ?).

Mexique, Août 2019.

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