On a tellement écrit et parlé au sujet de Don Samuel que je ne
sais ce que je peux apporter de nouveau. Cependant je ne peux pas évoquer mes
32 ans dans son diocèse sans exprimer mes sentiments de reconnaissance envers
lui. Vraiment ce fut une immense grâce pour moi lorsque don Samuel, avant même
de me connaitrez en avril 1965 à la suite d’une demande de ma part, depuis
Cuernavaca de travailler dans son diocèse me donna son accord.
Lorsqu’à la fin du stage de Cuernavaca, je disais au revoir
à Ivan Illich, près de lui se trouvait l’évêque du lieu dont Sergio Mendez
Arceo, Ivan illich lui dit : ce petit curé français était trop indépendant
pour rester dans son pays. »
-Alors je le prends dans mon diocèse, répondit Don Sergio.
Je lui fis savoir que j’étais déjà embauché par Don Samuel Ruiz Garcia. Don
Sergio ajouta : « je vous félicite ». Très vite, je me rendis
compte de la grande amitié qui existait entre ces deux évêques d’avant-garde.
Oui, quelle chance de
collaborer avec un évêque de la taille de Don Samuel. Il a été pour moi un
guide, un exemple, et un père. Je voyais qu’il vivait intensément tout ce qu’il
exigeait de ces agents de pastoral. Son attitude humble et fraternel vis à vis
des indiens était une indication pour mon comportement avec mes frères
indigènes. Je l’ai entendu conter au Journaliste Charles Antoine sa
conversation qui bouleversa toute sa vie.
Pendant des années, je fus comme
un poisson qui dort les yeux ouvert, i.e. qui voit mais ne comprends pas ;
je voyais des églises pleines, j’écoutais les prières dans les 5 différentes
langues indigènes (qui se parlent au Chiapas en dehors de l’Espagnol) ; je
voyais la ferveur de ces gens qui manifestait une foi enracinée, mais je ne percevais
pas la profondeur et le mystère de cette réalité. Pour moi c’était suffisant
que les indiens de mon diocèse au Chiapas chante dans l’église la gloire de
dieu, mais à la fin, je me suis rendu compte que derrière cette joie apparente,
il y avait une frustration structurelle, historique qui s’achevait en
tristesse.
Quand j’ai cessé d’être un poisson qui dormait les yeux ouverts,
j’ai compris que l’indigène ne pouvait pas comprendre et aimé la parole du Christ
SI son héros était, même seulement en apparence du côté de celui qui lésait ces
droits et lui rendait sa vie impossible.
De cette façon, un jour, voilà 25 ans j’ai pensé que l’endroit
ou devait se reposer le pasteur du christ en visite était le seul protégé
seulement par des branchages dans une cabane comme c’est la coutume dans la vie
des frères indiens. C’était un signe, mais ce serait le début d’un cheminement
d’approche qui m’a conduit à apprendre leur langue, à comprendre et à apprécier
leur coutumes et leur culture, et à me convaincre que je n’étais pas le seul à
donner ; sinon que eux aussi offraient une richesse morale d’expérience de
traditions…. En résumé un patrimoine inestimable !
Ainsi, s’exprimait don Samuel. Son choix préférentiel pour
les pauvres, fruit du concile Vatican II auquel il avait participé activement
lui a valu bien des inimitiés de la part des grands propriétaires terriens et
des gros éleveurs sans parler de la haine de ceux qui se disent :
« les authentiques coletos » i.e. les riches métisses de San Cristobal.
Et pourtant, je n’ai jamais senti, de sentiment de rancœur de la part de Don
Samuel. Son optimisme indestructible, même dans les situations les plus
dramatiques, me remplissait d’admiration c’était la démonstration d’un homme de
grande foi.
Sous sa direction, j’ai découvert peu à peu ce que signifiait
l’inculturation : être comme il disait à l’écoute de Dieu, présent dans
toutes les cultures pour y découvrir les vraies valeurs qui se manifestent dans
tous les actes de la vie, et spécialement dans la célébration des sacrements. Ainsi
il disait aux catéchistes de Chenalho : « Je nommerai un diacre parmi
vous quand vous aurez découvert dans votre culture les rites que vous
utiliserez pour les sacrements ». Grace à Don Samuel j’ai compris que je
n’avais pas à être l’agent de la culture occidentale chrétienne et romaine
puisqu’aucune culture n’est supérieure ou inférieure à une autre. Tout se joue
dans la complémentarité.
Lorsque Don Samuel était en visite parmi les catéchistes de
Chenalho, j’admirais sa simplicité, sa capacité d’écoute. Alors les Indiens se
rendaient compte qu’il n’était pas un personnage imposant comme sont les représentants
du gouvernement mais plutôt un grand frère ou, - comme ils aimaient l’appeler,
-« tatic samuel : Papa Samuel » ; mais pas le « bon
papa débonnaire » mais le vrai père de famille responsable de ses fils qui
veut qu’ils soient des hommes conscients de leur dignité capables de prendre en
main leur destinée :! Ni assistancialisme, ni paternalisme !
Au cours de ces quasis trente-trois ans, j’ai vu évoluer et
grandir ce diocèse de San Cristobal sous la houlette de ce grand Pasteur. Vers
les années 60-70 l’église se voulait « la voix des sans voix » ;
au fur et à mesure de l’importance des catéchistes et du réveil du peuple de
Dieu, l’Eglise est devenue « celle qui écoute la voix du peuple
croyant »
Combien de souffrance dans le cœur de Don Samuel à la vue de
l’écrasement des droits les plus élémentaires des Indiens. Quelle immense
tristesse le jour de l’enterrement des 45 victimes d’ACTEAL le 25 décembre
1997 : « le plus triste Noel de ma vie d’évêque » dira-t-il.
Ses préoccupations pastorales vont bien au-delà de son
troupeau. Dans un large esprit d’œcuménisme, il prend la défense des fidèles
des sectes, expulsés de leurs villages.
J’ai toujours été profondément choqué devant
l’incompréhension de ses frères dans l’épiscopat, mais toutes ces difficultés
loin de le décourager semblent au contraire le stimuler dans son labeur
pastoral.
Que dire de sa fermeté et de sa force de caractère face aux
attaques et calomnies de la part des gens du gouvernement ? Son dévouement à la cause de la paix même au
risque de sa vie, surtout à partir du soulèvement des Zapatistes, le 1er
janvier 1994 lui valut d’être choisi comme médiateur entre le gouvernement et
les belligérants. Malheureusement, l’intransigeance du gouvernement et tout
spécialement du Président Zedillo ne lui pas permis de mener à terme cette
noble mission.
Le dernier témoignage de sympathie de Don Samuel est le fax
que l’on m’a remis de sa part à mon arrivée à Roissy, le jour de mon expulsion
le 27 février 1998. Don Samuel s’exprime ainsi : « je ne peux tout
simplement que te remercier pour ces 32 ans de service dans notre diocèse,
parce que ton action et ta personne, n’importe l’endroit du monde où tu te
trouves, font partie de notre être et de notre travail diocésains…Peut être que
le fait de n’avoir pu nous dire au revoir, moi de toi, ni toi de nous, renferme
un mystérieux symbole : que tu continues à être ici et nous là-bas avec
toi. »
J’espère qu’un jour je reverrai Tatic Samuel.
A LIRE:
La Société Civile Las Abejas
Les Paramilitaires
Le Massacre d'Acteal
Le racisme à Chenalho
Tatic Samuel
Le Congrès Indigène
La fête des morts dans les communautés
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